Nous avons beaucoup entendu parler, en début d’année, du “Traité en haute-mer », dont la signature a eu lieu en mars.
L’événement a provoqué une certaine émulation et a été repris par un grand nombre de médias nationaux et internationaux utilisant alors des termes pouvant prêter à confusion, à commencer par son titre : “Le traité de protection en haute mer”.
La réunion des délégations des états pour adopter ce fameux traité aura lieu en juin prochain, l’occasion pour nous, a quelques semaines de ce nouvel événement, de faire le point sur les idées reçues véhiculées par les médias et de nuancer les propos de certains d’entre eux.
Idée reçue n°1 : C’est un traité de PROTECTION de la Haute Mer
Le “Traité de Protection en Haute Mer” est un nom simplifié pour désigner le « Traité sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité dans les zones ne relevant pas de la juridiction des États » (aussi appelé le traité “Biodiversity Beyond National Juridiction” – BBNJ*).
Toutefois, ces deux titres ne représentent pas tout à fait la même idée de la notion de “protection”.
En réalité, il peut être trompeur de vouloir simplifier le titre d’un traité.
En l’occurrence, la conservation et l’utilisation durable évoquée dans le véritable titre du traité ne sont pas nécessairement synonymes de protection.
En effet, la protection peut prendre plusieurs formes :
– Une protection à des fins utilitaristes, c’est à dire que l’Homme protège la nature car il en a besoin, il l’utilise.
– Une protection à des fins de conservation, “avec l’Homme” ;
– Ou encore à des fins de préservation, “sans l’Homme” ;
Il est important de préciser que l’angle de protection adopté pour cet accord est bien celui de la conservation, et non de la préservation.
Autrement dit, il ne s’agit pas d’exclure toute activité humaine, ni de sanctuariser les ressources, mais bien de conserver la biodiversité au-delà des zones sous juridiction.
L’idée étant de leur faire bénéficier d’une gouvernance relativement homogène à l’échelle internationale.
Il s’agit donc plutôt d’un traité de gestion des usages plutôt que de leur réduction.
Idée reçue n°2 : Il s’agit “d’Un accord HISTORIQUE suscitant beaucoup d’ÉMOTION”
Nous avons beaucoup entendu, notamment dans les médias, que “le traité de protection en Haute Mer est un accord historique” ou encore qu’il suscite “beaucoup d’émotion”.
Mais si la conclusion de l’accord représente l’aboutissement d’un travail colossal, l’aspect historique de ce traité tient principalement en deux points.
Le premier est avant tout d’avoir pu aboutir à un accord 41 ans après la conclusion de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer en 1982. La décision de travailler sur un nouvel accord concernant la haute mer datant de 2004, il a donc fallu 19 ans de négociations pour arriver à ce résultat.
L’exploit est également lié aux modalités d’adoption du texte : par consensus entre Etats. Le consensus est un procédé compliqué, puisqu’il s’agit de mettre d’accord différents Etats avec différents intérêts tout en nécessitant l’accord de tous.
L’accord est également historique compte tenu de sa symbolique : la haute mer, placée sous le signe de la liberté des mers, est désormais régie par un texte. Toutefois, comme nous l’avons évoqué, l’exploit ne tient pas dans le degré de protection dont bénéficiera la haute mer (qui dépend du bon vouloir des Etats), bien qu’il s’agisse d’un tournant décisif dans la conservation de la biodiversité marine.
Pour terminer, le traité a un réel intérêt seulement s’il peut être appliqué. Or, ce dernier n’entrera en vigueur que si 60 Etats le ratifient (ce qui est prévu en juin 2023), et le transposent dans leur droit national.
Idée reçue n°3 : “Avant, la haute mer était une ZONE DE NON-DROIT »
L’imaginaire collectif associe depuis longtemps la haute mer avec la croyance qu’il s’agit d’une zone de non-droit, où tous les coups seraient permis. Au moment de l’adoption du traité sur la haute mer, on a donc pu lire çà et là que l’accord venait mettre fin à des décennies d’infractions en tout genre.
Il est faux de croire qu’il n’y avait, avant cet accord, aucun droit de l’environnement applicable à la haute mer. De nombreuses normes, applicables à cette zone, existaient déjà.
Tout d’abord, le traité sur la haute mer se réfère à la Convention de Montego Bay (adopté le 10 décembre 1982, aussi surnommé “la constitution des océans”), qui donne la priorité à l’Etat du pavillon (nationalité) des navires en haute mer. Le navire étant alors considéré comme un morceau de territoire.
Il existe également, au-delà des juridictions existantes, un droit environnemental de la navigation maritime, adopté sous l’égide de l’Organisation Maritime Internationale (OMI), organisme des Nations Unies spécialisé en la matière.
L’OMI a d’ailleurs adopté plusieurs conventions internationales à vocation environnementale. Parmi elles, la Convention MARPOL, qui couvre entre autres les pollutions par les carburants, les eaux usées, les déchets à bord et les pollutions atmosphériques des navires.
Celle-ci a été complétée par d’autres textes, qui prévoient des obligations, par exemple, sur les eaux de ballast (les eaux de cale des navires utilisées pour adapter le poids), les revêtements antifouling (peintures des coques pour éviter la saleté) ou encore le démantèlement des navires.
Il existe également des normes issues du droit international de la biodiversité qui s’appliquent en haute mer. Plusieurs conventions prévoient des listes d’espèces protégées, dont plusieurs sont des espèces marines susceptibles de vivre en haute mer. C’est le cas par exemple de la Convention sur la diversité biologique, de la CITES sur le commerce d’espèces, de la Convention de Bonn sur les espèces migratrices ou encore de la Convention de Berne sur la vie sauvage.
Une attention particulière doit être donnée au secteur de la pêche. Il existe, à l’échelle planétaire, diverses organisations régionales de pêche, spécialisées dans la régulation des stocks de thon ou bien multi espèces. Celles-ci formulent des recommandations qui s’appliquent également à la haute mer des Etats membres de ces organisations.
A cet égard la Convention de Montego Bay a adopté en 1995 un accord sur les stocks chevauchants, dans une vision de conservation de l’écosystème.
Quelques exemples d’aires marines protégées en haute mer sont également à citer. C’est le cas en Antarctique, où plusieurs aires marines protégées ont été adoptées, comme celle de la mer de Ross. Un exemple intéressant existe aussi en Méditerranée : à l’époque où les Etats méditerranéens n’avaient pas encore revendiqué de zones sous juridiction, la France, l’Italie et Monaco se sont tout de même mis d’accord sur la création d’une aire marine protégée pour les cétacés, le sanctuaire Pelagos, sur une partie de haute mer.
Enfin, le sous-sol de la haute mer jouit déjà d’un statut juridique particulier en vertu du droit international de Montego Bay, celui de patrimoine commun de l’humanité, dont nous reparlerons dans cet article. Il y a donc un droit existant sur une partie importante de la haute mer. Seule la colonne d’eau de la haute mer (zone située entre la surface et le fond) n’avait, jusqu’à cet accord, pas de statut juridique.
Idée reçue n°4 : L’accord va CONTRAINDRE tous les Etats
Lorsqu’un Etat signe un accord international, cela signifie qu’il est lié par cet accord, et qu’il accepte donc de donner certaines de ses libertés pour qu’elles soient gérées par cet accord. L’inquiétude ici, est donc qu’en signant l’accord BBNJ, les Etats n’aient plus de libertés en Haute Mer.
Il serait maladroit de faire cette généralité ici. L’accord BBNJ ne contraint pas tous les Etats. En l’occurrence, si un Etat s’oppose à ce qu’une aire marine protégée en haute mer soit créée, il pourra par exemple émettre des objections.
La seule obligation qui contraint la totalité des Etats est celle de coopérer. Il n’est donc pas obligatoire de faire adopter et de respecter l’établissement de futures aires marines protégées si un Etat ne le souhaite pas. Cela risque par exemple d’être la position de la Russie, qui bloque tout régime de protection de l’environnement en haute mer. Un Etat qui ne souhaite pas ratifier l’accord ne sera pas non plus contraint par le traité.
La difficulté repose dans le contrôle de la coopération évoquée précédemment, pour savoir si elle est effective ou non : car une telle obligation se prouve difficilement. Jusqu’où pourra-t-on obliger les Etats à coopérer, et comment évaluer l’efficacité de cette coopération ? Telle est la question.
Idée reçue n°5 : “L’accord met FIN à la LIBERTÉ en haute mer”
Le principe de liberté de navigation et d’exploitation est associé à la haute mer.
Cela signifie par exemple que l’on peut pêcher, naviguer ou encore poser des câbles sous-marins sans restriction. Ce régime, qui lui est associé dans la Convention de Montego Bay, n’est toutefois pas incompatible avec certains régimes juridiques de protection, tels que ceux évoqués précédemment.
La liberté de la haute mer fut historiquement défendue par le juriste néerlandais Hugo Grotius au XVIe siècle, dans les conflits qui opposaient les Pays-Bas à l’Angleterre pour la conquête des mers.
Elle fait ainsi l‘essence d‘une grande partie du droit de la mer.
Le traité sur la haute mer ne vient pas entraver cette liberté : les Etats seront toujours responsables des navires qui circulent dans la haute mer, selon le principe de la loi du pavillon. Le fait de rappeler cette liberté de la haute mer a d’ailleurs été, au moment des négociations, une condition sine qua non pour que le traité soit adopté. Les Etats se sont montrés attachés à ce principe de liberté et prudents, afin de conserver leur capacité d’exploitation au-delà des juridictions existantes.
Idée reçue n°6 : 30% de la Haute Mer bénéficiera d’une PROTECTION FORTE
Il n’est pas parfaitement exact de penser que 30% de la haute mer bénéficiera d’une protection forte dans le cadre du traité BBNJ : d’une part, cette proportion est un objectif vers lequel tendre, n’obligeant aucun Etat à créer des zones de protection telles que des Aires Marines Protégées (AMP), d’autre part, même si elles sont mises en place, celles-ci ne seront pas obligatoirement des zones de protection forte (à moins que ce ne soit le choix de l’Etat qui la crée).
Il n’y a en effet aucun niveau de protection minimal exigé et les aires marines protégées, issues de l’accord BBNJ, relèvent plutôt de la gestion, et non de la préservation. Il est par exemple tout à fait possible d’imaginer qu’un Etat puisse autoriser les exploitations minières dans son AMP sans toutefois aller à l’encontre du traité.
L’objectif de 30% cité précédemment correspond donc à un objectif fixé par les Nations Unies, mais l’initiative de création de ces zones de protection reste au bon vouloir des Etats signataires de l’accord.
Il reviendra à l’Union Européenne de surveiller la mise en œuvre de cet objectif par ses Etats Membres.
Nous attendons de l’UE qu’elle remplisse cet objectif de 30% de protection forte ou totale des eaux européennes. Intégrer cet accord BBNJ dans le droit de l’union européene pourrait être un moyen d’atteindre cet objectif.
Certains Etats comptent déjà se servir de cette base légale pour créer des AMP : le Chili par exemple, qui avait annoncé lors du Sommet virtuel des dirigeants sur le climat 2021, qu’il présenterait une proposition visant à protéger pleinement une zone de haute mer dans le Pacifique Sud, va très certainement s’en servir pour enfin créer son AMP pour la pêche artisanale, d’une superficie de plus de 73 hectares.
D’un point de vue diplomatique également, cet objectif de 30% parait difficilement atteignable s’il n’est pas signé par la quasi-totalité des Etats. En effet, si les Etats Unis, première ZEE au monde, ne signent pas l’accord, cela affaiblira considérablement les chances d’atteindre ces 30%. De plus, certains territoires ne sauraient être concernés par cette injonction à créer des AMP par exemple : c’est le cas des territoires disputés en mer de Chine.
Idée reçue n°7 : “La haute mer est un PATRIMOINE COMMUN de l’humanité”
Le concept de “patrimoine commun de l’humanité” est souvent utilisé pour désigner la haute mer dans son ensemble. Il correspond en réalité à un statut juridique bien précis, celui des grands fonds marins, c’est-à-dire du sol de l’océan, dans lequel peuvent se trouver des matériaux rares.
Ce statut permet à l’ensemble des Etats de la planète d’avoir accès aux ressources génétiques marines situées sur le sous-sol de la haute mer et garantit donc une forme d’équité entre les Etats et les générations. Toutefois il n’est pas sans risque.
Les ressources évoquées, précieuses pour l’industrie pharmaceutique notamment, sont gérées par une organisation internationale, l’Autorité internationale des fonds marins, qui régit leur exploitation et leur protection pour les générations futures.
Leur exploitation est pourtant un danger et peut être une source importante de pollution marine.
Dans le traité sur la haute mer, le statut de patrimoine commun de l’humanité a été repris, mais de façon assez étonnante, sous forme d’un “principe de patrimoine commun de l’humanité”, et non d’un statut à part entière.
Le statut de patrimoine commun de l’humanité des grands fonds n’est pas étendu à la colonne d’eau de la haute mer. La Haute Mer n’est donc pas un patrimoine commun de l’humanité.