« J’ai passé 30 ans à explorer la mer, à essayer de la conquérir, alors qu’il fallait d’abord la protéger ».
Cette phrase à elle seule pourrait résumer la vie du célèbre commandant au bonnet rouge Jacques-Yves Cousteau. A l’occasion de la sortie en salle du film l’Odyssée, nous avons rencontré le réalisateur Jérôme Salle qui revient sur le parcours d’un personnage devenu mythique mais derrière lequel ce cache aussi un homme avec des défauts et qui a appris de ses erreurs. Un très beau film qui nous rappelle que l’Océan est plus que jamais en danger et que nous ne devons jamais cesser de le défendre et de protéger.
Ces dernières années on a vu beaucoup de biopic au cinéma, comment vous est venu l’idée de faire un film sur le commandant Cousteau ?
Quand j’étais gamin, j’ai été marqué par les films de Cousteau qui passaient à la télé et puis j’ai grandi dans le sud, non loin de là où l’histoire de Cousteau a commencé. J’ai baigné là-dedans si je puis dire ! Et puis, il y a quelques années, en parlant de Cousteau à mes enfants je me suis rendu compte qu’ils ne savaient qui c’était et que moi-même au final j’en connaissais très peu sur lui. Pendant mes recherches, j’ai découvert un personnage complexe et assez secret, j’ai trouvé son parcours intéressant, assez pour avoir l’envie d’en faire un film.
Avec un personnage comme Cousteau il est difficile de raconter toute sa vie en un seul film. Vous avez choisi de parler de sa vie sous l’angle de la famille et notamment de sa relation avec l’un de ses fils. Pourquoi ce choix ?
C’est un projet sur lequel j’ai travaillé pendant des années, entre le moment où j’ai commencé à travailler sur Cousteau et celui où j’ai démarré le tournage, j’avais réalisé deux films. J’avais évolué et mes envies avaient changé. Au départ j’étais parti sur un biopic qu’au final je trouvais trop classique et qui ne me plaisait plus. Je l’ai donc réécrit entièrement pour avoir un parti pris plus fort. Certaines rencontres ont aussi joué un rôle important dans le scénario. Tout d’abord la rencontre avec Pierre Niney (qui joue le rôle de Philippe l’un des fils de Cousteau), mais aussi celles de la famille de Philippe. J’ai trouvé son histoire touchante et cela m’a donné envie de développer ce personnage.
Je me suis aussi aperçu que ce qui m’intéressait sur Cousteau c’était de raconter son parcours et comment cet homme qui n’était pas du tout écologiste au début l’est devenu. Pour en avoir parlé avec son autre fils Jean-Michel, Philippe dans un premier temps puis Jean-Michel, l’ont aidé à ouvrir les yeux. Cousteau a été des premiers à dénoncer les méfaits de la société sur l’environnement, à se rendre compte que la planète avait des limites et était en danger.
Que répondre aux polémiques autour de Cousteau, notamment celles liées au documentaire le « Monde du silence », qui rappelons-le est sorti en 1956 ?
Selon moi, ces polémiques n’ont pas de sens, les personnes ne remettent pas les choses dans leur contexte. C’est ce que j’ai voulu raconter dans ce film, Cousteau est un homme de son temps, qui au départ cherche à conquérir et exploiter les ressources, à une époque où personne ne se souciait de la limite des ressources et de la protection de l’environnement. J’en ai beaucoup parlé avec les marins de la Calypso, ils m’ont tous dit qu’au fur et à mesure de leurs expéditions, en revenant sur des lieux où ils avaient déjà été, ils ont vite réalisé que tout s’était appauvri. Comment ne pas devenir écolo face à cela.
Cousteau représente parfaitement l’évolution de l’Homme et de la société au 20ème siècle. Il n’était pas parfait, loin de là, mais il a pris conscience de ses erreurs et les a reconnues. Il a refusé à de nombreuses reprises de remonter ce documentaire et d’enlever les scènes les plus choquantes, en disant que ce film était un témoignage de cette époque et qu’il devait rester tel quel pour montrer les erreurs qui avaient été commises. Le 20ème siècle est une époque passionnante où les hommes pensaient que le progrès ne pouvait être que positif. Ce qui est aussi intéressant avec Cousteau, c’est qu’il a toujours été un homme de mouvement, tourné vers l’avenir, il n’en avait pas peur mais il a compris à un moment donné, qu’il fallait gérer ce progrès et ne pas faire n’importe quoi.
Vous avez fait le choix de ne pas utiliser de fond vert, vous avez notamment tourné en Méditerranée, aujourd’hui on sait que c’est l’une des mers les plus polluées du monde. Au cours du tournage est-ce que vous avez pu constater cette dégradation des océans et des fonds marins?
Pour la première partie du film nous avons dû aller tourner en Croatie. J’y ai beaucoup plongé en repérage notamment pour filmer le passage de la grotte que l’on voit à deux reprises dans le film. Et bien il n’y avait rien, c’était un désert minéral absolu, parce qu’il y a eu une surpêche, en l’occurrence à l’explosif dans cette région. On a fini par devoir, et c’est tout un symbole, recréer par ordinateur cette faune qui n’existe plus. Les raies que l’on voit à l’écran on ne les trouve plus en Méditerranée. Pour la séquence des requins, nous voulions tourner en mer rouge, un des conseillers m’a dit qu’ils étaient minuscules là-bas par ce que souvent ils étaient tués avant d’atteindre leur taille adulte. Tout au long du tournage nous avons été confronté à cette réalité.
Pourquoi terminer le film sur l’expédition en Antarctique ?
L’Antarctique est un lieu très émouvant, c’est sans doute le dernier lieu encore réellement sauvage qui existe sur cette planète. C’est une sensation très particulière, on sent qu’en tant qu’homme nous sommes juste de passage, comme invité par la nature. Au-delà des raisons artistiques et visuelles je tenais aussi à aller là-bas pour des raisons symboliques. Il s’agit d’un des derniers combats de Cousteau. En parlant de cela à la fin du film, j’espère que les gens retiendront ce passage. Il fallait que je mettre quelque chose de concret surtout que l’Antarctique continue encore aujourd’hui de faire l’objet de nombreuses pressions. Ce continent est vital pour l’équilibre de la planète et le moratoire qui a été signé grâce à Cousteau prend fin en 2046, qui sait ce qu’il adviendra après.
Comment ressort-on d’un tel tournage ? Surtout, comme vous avez pu le dire, quand on voit que l’océan est toujours en danger et même plus qu’à l’époque où Cousteau alertait le public à ce sujet?
Cousteau disait une phrase très juste « on protège ce que l’on aime ». Nous sommes tous ressortis marqués ne serait-ce que par la beauté des lieux où nous sommes allés. Ce qui est sûr c’est que ce voyage là nous a fait aimer un peu plus la planète et que chacun à notre manière nous allons trouver un moyen de continuer de militer, de porter cette parole-là. Personnellement, pendant longtemps j’ai eu l’impression de me battre contre des moulins à vent mais ce film m’a donné envie d’y retourner.
Crédit photo © Jean-Marie Leroy
Au-delà du simple biopic, le film porte un message environnemental fort. Quel message voulez-vous faire passer au public ?
Au fond, le cinéma est un art qui n’est pas très intellectuel, c’est un art qui parle aux sentiments. Cousteau le faisait très bien dans ses documentaires. Avec ce film j’ai envie que les gens soient transportés par les images. J’espère qu’ils en ressortiront avec une sensibilité plus grande envers une planète qu’ils connaissent très peu,qu’il faut leur montrer, leur faire aimer pour qu’ils aient envie de s’en soucier et s’en occuper.
Le film L’Odyssée est en salle à partir du 12 octobre. Un beau moment à partager entre amis ou en famille sur un homme dont au final nous savons peu de choses.
Interview réalisée par Emilie Chavaroche