De nombreuses associations et entreprises promettent de “dépolluer l’océan”, en nettoyant sa surface inondée de déchets. On a envie de croire à une solution miracle, mais on peut légitimement se demander si ces campagnes de communication reflètent des actions réellement efficaces. Ne grattent-elles pas seulement la surface d’un problème beaucoup plus profond et complexe ?
La supercherie du greenwashing : La face cachée des initiatives de dépollution
Financer la recherche sur les bioplastiques, soutenir essentiellement des initiatives de recyclage et dépollution, transférer la responsabilité vers les consommateurs ou le gouvernement… Certaines entreprises ne sont pas à court d’initiatives pour redorer leur blason et se donner bonne conscience face à leur impact environnemental.
Les actions de nettoyage de l’Océan font également partie des tactiques utilisées par les entreprises pour détourner l’attention des consommateurs et des pouvoirs publics de leurs propres activités polluantes.
En finançant ce genre d’initiatives, elles se positionnent comme des acteurs engagés dans la résolution du problème de la pollution plastique.
En guise d’exemple, nous pouvons citer l’organisation Alliance to End Plastic Waste (AEPW) dont l’objectif principal est de “mettre fin à la pollution plastique” en développant des programmes et infrastructures destinés à « nettoyer l’océan”.
L’organisation est principalement financée par des entreprises du secteur des produits chimiques et des combustibles fossiles telles qu’Exxon Mobil Corp (société pétrolière et gazière américaine), Dow Chemical Co (géant mondial de la fabrication et distribution de produits chimiques) et Chevron Phillips Chemical Co (société pétrochimique américaine). C’est donc logique qu’elle se focalise principalement sur les actions de recyclage plutôt que sur la production de plastique à la source.
En investissant dans des initiatives de dépollution de l’océan, ces entreprises cherchent à se dédouaner de leur responsabilité face au désastre écologique causé par le plastique alors qu’elles sont à l’origine de la production massive et croissante de plastique.
Les grandes compagnies pétrolières et chimiques utilisent ces initiatives pour détourner l’attention en incitant à se concentrer sur le recyclage et la gestion des déchets en aval, tout en évitant d’aborder la question de la réduction de la production de plastique à la source. En d’autres termes, elles transfèrent la responsabilité de la résolution du problème de la pollution plastique aux consommateurs et aux initiatives de dépollution, tout en préservant leurs activités polluantes productives (et lucratives !).
Lire: Les 5 stratégies des industries pour continuer à produire et utiliser encore plus de plastique
Lire : Pollution plastique : attention aux fasses bonnes idées
Un nettoyage limité aux déchets les plus gros : et les microplastiques ?
The Ocean Cleanup, une ONG qui développe des technologies destinées à éradiquer la pollution plastique de l’Océan, est devenue mondialement connue grâce à son jeune fondateur et son objectif de nettoyer le septième continent, ce vortex de déchets plastiques représentant une surface d’1,6 millions de km2 dans l’océan Pacifique.
Si l’idée est, en apparence, louable, ce système mis en place par l’ONG ne permet cependant de récolter que les gros déchets plastiques qui flottent ou sont proches de la surface tels que les bouteilles en plastique ou les filets de pêches perdus. Malheureusement ce n’est qu’une infime partie du problème. La majorité des déchets finissent par couler ou par se fragmenter en microplastiques et nanoplastiques.
En automne 2018, l’équipage de l’Arctic Sunrise (navire océanographique de Greenpeace) s’est rendu sur les lieux du vortex de déchets pour observer de près cette soupe visqueuse. Celle-ci est en réalité constituée de milliards de fragments de plastique minuscules (microplastiques). D’après Greenpeace, le vortex de plastique serait constitué de 1 800 milliards de morceaux de plastique flottant, pour une masse de près de 80 000 tonnes enfouis.
Cette masse est le résultat de la fragmentation, sous l’effet du soleil et du sel, de déchets plastiques.
Les microplastiques sont ingérés par les espèces marines, ce qui entraîne des conséquences irréversibles sur les écosystèmes et la contamination de la chaîne alimentaire ainsi que des impacts sur notre santé par l’ingestion de produits de la mer contaminés. Nous ingérons en moyenne jusqu’à 5 grammes de plastique par semaine – soit l’équivalent d’une carte de crédit.
Ne s’attaquer qu’à la surface du problème ne permet pas une réduction pérenne de la pollution plastique.
La seule solution durable : sortir de la dépendance plastique
A l’heure actuelle, il est illusoire de vouloir dépolluer l’Océan.
En revanche, lutter contre la surconsommation de plastique est tout à fait possible.
En 2019 et à l’échelle mondiale, seulement 9% du plastique produit a été recyclé, 12% incinéré et 79% s’est accumulé dans les décharges ou s’est dispersé dans la nature, dont une grande partie se retrouve facilement dans l’océan.
On estime d’ailleurs à 10 millions de tonnes la quantité de plastique rejoignant les écosystèmes marins chaque année. C’est l’équivalent d’un camion poubelle déchargé en mer chaque minute.
Nous demandons aux entreprises qui polluent et qui ne communiquent pas honnêtement de s’inscrire dans une démarche plus responsable et de prendre à bras le corps la question de la pollution plastique. Trop souvent, seul le recyclage est mis en avant par les entreprises dans la lutte contre la pollution plastique. Or il ne permet pas de supprimer tous les risques liés à l’utilisation du plastique.
Pour ces raisons, nous demandons aux entreprises de prendre des engagements concrets pour réduire leur consommation de plastique à la source.
Le fondateur du projet The Ocean Cleanup reconnaît désormais lui-même l’urgence de la situation. Il écrit dans un article du New York Times le 25 mai 2023 : « Si nous n’empêchons pas davantage de plastique de se déverser dans les océans, nous ne serons jamais en mesure de terminer le travail ».
Si la tâche semble infaisable, il reste cependant un espoir : la seconde session du Comité International de Négociations (INC-2) du traité international sur la pollution plastique a ouvert la voie vers la rédaction d’une première version d’un traité. Celle-ci sera discutée à Nairobi en novembre 2023. C’est un pas en avant face au lobbying puissant de l’industrie du plastique !
Lire : le communiqué de presse sur la réaction de Surfrider face aux résultats de l’INC-2r
La dépollution de l’océan n’est malheureusement pas la solution à la pollution plastique. Le problème doit être résolu à la source. Une approche plus globale, préventive et transparente est nécessaire pour s’attaquer aux causes profondes de cette crise environnementale. En adoptant des mesures préventives, en sensibilisant le public et en mettant en place des réglementations strictes, nous pouvons faire progresser la lutte contre la pollution de l’océan et préserver la santé de nos écosystèmes marins pour les générations futures.
En images : Nos experts et invités se sont penchés sur la question lors de notre live du 28 mars 2023. Pour voir le replay, c’est par ici.