11 juin 2021. Une importante pollution de 35 km de long est repérée en mer Méditerranée lors d’un exercice militaire aérien au large de la ville de Solenzara en Corse. Au moment de ces observations, les deux nappes d’hydrocarbures se trouvent à environ 9km de la côte est de l’île (entre Aléria et Solenzara).
Après analyse des images prises par les aéronefs, les experts du CEDRE (Centre de documentation, de recherche et d’expérimentation contre les pollutions) et du CEPPOL (Centre d’Expertises Pratiques de Lutte Antipollution), affirment qu’il s’agit d’hydrocarbures lourds, particulièrement nocifs pour l’environnement marin. La taille de la pollution et la nature des produits nécessitent la mobilisation d’un important dispositif de lutte antipollution en mer (permettant la récupération de 3 à 4 tonnes de fuel lourd) et le déclenchement du plan POLMAR terre.
La menace de l’arrivée des résidus d’hydrocarbures sur le littoral conduit alors à l’interdiction des activités nautiques ainsi que des activités économiques sur certaines plages de la partie est et sud de la Corse. Avant le début de la saison estivale, d’une année éprouvante pour le secteur touristique, tout le monde retient son souffle. C’est donc avec soulagement que les autorités finissent par constater que les nappes ont changé de cap et que seules quelques boulettes ont touché terre.
Malgré l’éloignement de la nappe, Surfrider est très en colère
Tout d’abord, ça n’est pas parce que la pollution n’a pas atteint le rivage dans les proportions escomptées qu’elle ne va pas causer une pollution durable de la mer Méditerranée. En effet, la dissolution des hydrocarbures lourds est difficile : ils plongent, ressortent et se dispersent. Ils se fragmentent en des particules de plus en plus fines et se mélangent à des déchets. L’impact de la pollution causée au milieu marin de la zone, est déjà, irréversible. La Corse est notamment connue pour abriter une biodiversité marine unique et très riche et cette nouvelle pollution menace les espèces endémiques et leurs habitats.
Ensuite, cette pollution est très vraisemblablement issue d’un rejet illicite d’hydrocarbures (appelé également à tort « dégazage sauvage ») par un navire. Cette pratique consiste à nettoyer les cuves contenant des résidus de substances polluantes et de rejeter les eaux souillées en mer plutôt que dans des installations portuaires, prévues à cet effet mais payantes. Ces rejets sont illégaux et entrainent des dommages écologiques importants tant pour les écosystèmes marins que pour les populations et les usagers de la mer.
A l’heure actuelle, on ne sait toujours pas qui est le navire responsable de l’infraction, on parle donc de pollution orpheline. Et si on en entend rarement parler c’est pourtant un phénomène courant (106 pollutions orphelines sur 159 pollutions confirmées en 2019 en France – Rapport Surveillance des pollutions en mer. Bilan annuel 2019) . Trop souvent, ces voyous des mers ne sont pas identifiés et restent donc impunis pour leurs pratiques illégales.
C’est pour lutter contre ce phénomène et faire évoluer la jurisprudence vers une meilleure application du principe pollueur-payeur que Surfrider Foundation Europe a porté plainte contre X et va se constituer partie civile si des poursuites sont engagées.
Pas vu, pas pris
Le système judiciaire français est très performant lorsque les navires sont pris en flagrant délit de rejet illicite de substances polluantes. En revanche, aucun procès et donc aucune condamnation n’a encore eu lieu si la pollution n’est pas observée par un aéronef, dans le sillage immédiat du navire.
La France et l’Europe ont pourtant des moyens pour détecter les « pollutions orphelines » et faire le lien avec les navires présents sur zone. En effet, en utilisant le système satellitaire de surveillance des pollutions européen Cleanseanet qui permet de détecter en temps réel les rejets illicites et en couplant avec des informations sur le trafic maritime (grâce notamment au système d’identification des navires AIS, qui indique la position et la vitesse du navire), on peut avoir une première vision des vaisseaux sur zone. Il est donc finalement aisé d’établir une liste des principaux suspects. En 2019 plus de 7000 détections satellitaires de potentielles pollutions dans les eaux européennes ont été effectuées.
Des moyens aériens peuvent être envoyés après une détection par satellite pour confirmer la pollution et essayer de surprendre le navire en plein « dégazage » ou acquérir des informations précieuses permettant d’engager des poursuites. C’est notamment ce scénario qui s’est déroulé en Espagne et qui a permis la détention d’un pétrolier battant pavillon libérien ayant effectué un rejet illicite au large des Canaries en juin 2021, peu après la découverte de la pollution en zone Corse.
Dans le cas de la pollution orpheline Corse, la Procureure de la république s’est saisie de l’affaire et a confié l’enquête à la gendarmerie maritime. Leur but : rassembler le plus d’éléments de preuves pour que le cas puisse être porté devant les tribunaux.
La traque est en cours
L’identification du navire pouvant être à l’origine du rejet illégal, est encore en cours. En plus des images satellites et la consultation de l’AIS, les gendarmes ont demandé à des spécialistes d’effectuer une retro dérive, c’est-à-dire d’analyser la trajectoire des nappes polluantes afin de déterminer leur point de départ.
A ce stade, trois navires présents dans une zone élargie autour de la pollution et qui par leur capacité pourraient en être potentiellement à l’origine, font l’objet de vérifications par la brigade de recherche.
Les navires ciblés vont alors être auditionnés et des inspections vont être menées afin de comparer notamment les prélèvements effectués dans la nappe polluante et ceux des cuves des bateaux. Si le navire identifié est français les auditions seront réalisées par la gendarmerie maritime. S’il s’agit de navires dans des ports étrangers, le procureur de la juridiction spécialisée de Marseille pourra demander une coopération internationale. En effet, le transport maritime implique de nombreux pays entre le pays victime de la pollution, le pays du pavillon et ceux où les navires suspects vont faire escale.
L’enquête est donc loin d’être finie et il peut se passer des années avant qu’un procès ait lieu. Surfrider Europe reste donc vigilant et mettra tout en œuvre pour que le capitaine et l’armateur du navire auteur de la pollution soient mis face à leur responsabilité.
L’affaire est très importante pour l’association qui mène depuis 2008, un véritable combat juridique contre les pollueurs des mers. En effet, Surfrider Europe a développé une stratégie contentieuse pour une application optimale du principe de pollueur payeur. A chaque rejet illicite ayant lieu dans les eaux sous juridictions françaises, Surfrider Europe se mobilise pour que l’affaire soit portée devant la justice et apporte son expertise lors des audiences. Nous pensons que des amendes importantes et systématiques ont un réel effet dissuasif sur les potentiels délinquants maritimes.
Notez aussi que Surfrider Europe travaille depuis des années à l’utilisation de nouvelles technologies au titre de preuves devant les juridictions spécialisées pour qu’aucune pollution ne reste orpheline et impunie. Nous voulons envoyer un signal fort aux pollueurs en leur montrant que des poursuites et des sanctions sont possibles, même en l’absence de flagrant délit.