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Les vagues ont-elles de la « valeur »?

En lisant ce titre, qu’entendez-vous par « valeur » des vagues? La question se pose et se renouvelle au travers de chaque combat Gardiens de la Côte mené au sein de la thématique Vagues et Patrimoine, pour la protection et sauvegarde de certaines vagues aujourd’hui menacées, notamment par l’artificialisation du littoral.

quelle valeur et quelles vagues?

La question de la valeur de la vague est bien « laquelle ». Quelle valeur lui donner ? Ou mieux encore, qu’entendez-vous par « valeur » ? Ces questions rappellent que la valeur n’est pas dans la chose, mais qu’elle s’attribue : pointer du doigt une vague montre déjà un mouvement volontaire d’appréciation ; certains peuvent se demander ce que vous êtes en train de pointer du doigt : non ce n’est pas un baigneur qui se noie, non plus un surfeur hors du commun, encore moins un aileron de requin qui perce la surface de l’eau mais quelque chose de trop vite jugé banal car sous nos yeux en permanence, j’ai nommé l’océan, les vagues et leur déroulé… « Ouais, c’est des vagues quoi » vous a-t-on peut-être déjà répondu.

Le camion plein des déchets ramassés dans la décharge sauvage. Crédit: Aines Arizmendi

Protéger les vagues, oui, mais lesquelles ? Celles aujourd’hui en danger, au préalable distinguées comme « mythiques », « reconnues », à caractère « exceptionnel ». Ces vagues qu’on a choisi de protéger, tirent-elles simplement leur valeur de l’usage qu’on en fait ? C’est ce qu’on pourrait penser de prime abord, mais la thématique Vagues et Patrimoine de Surfrider dépasse la simple anecdote de surfeurs qui voudraient seulement défendre un terrain de jeu.

Environnement et conflits d’usage

Avec la protection des vagues, il s’agit par extension de protéger la Nature, celle qu’on ne peut contrôler, diriger, et posséder. Cela dit, ce discours tient jusqu’à ce qu’un conflit d’usage se présente. Une telle protection nécessite des efforts collectifs, mais dans la réalité, elle montre aussi la capacité de certains acteurs à s’illustrer ou prendre plus de place dans les décisions; faute d’efforts collectifs, des situations de conflits entre usagers se créent. Des conflits d’usage(s) qui font apparaitre l’environnement comme enjeu de pouvoir : toute politique, de protection, d’exploitation, de planification peut se matérialiser sous forme d’infrastructure (éoliennes, digues, etc), provoquant des conflits d’usage qui concrétisent des rapports de pouvoir. Exemples de 3 combats Gardiens de la Côte:

1 – Les Açores, Ile Sao Miguel, Portugal, la vague de classe mondiale à Rabo de Peixe est menacée par la construction d’une nouvelle digue du port. Résumé : les autorités souhaitent développer le secteur de la pêche, première source de revenus sur l’île, en plus d’offrir de meilleures conditions de travail aux pêcheurs en cassant la houle venant du nord, la disparition de la vague est donc programmée. Le souhait de Paulo, le Gardien, est bien sur d’éviter toute impact sur la vague et de faire entrer les organisations de surf dans les prises de décisions de ce projet, usagers qui font aussi partie de l’ensemble de la population. En savoir plus…

Le camion plein des déchets ramassés dans la décharge sauvage. Crédit: Aines Arizmendi

2 – Munich, Allemagne, en 2012, la vague de Richenbach est menacée par le projet de renaturation de la rivière Isar. Petra, la Gardienne, se mobilise avec l’antenne Surfrider de Köln avec d’autres usagers de la vague (surfeurs et kayakistes) pour préserver la vague en maintenant mais modifiant ce projet de restauration écologique de la rivière. Combat aujourd’hui « classé », les autorités estiment avoir entendu les revendications, malgré une qualité de vague disparue qui ne la rend aujourd’hui plus surfable, sauf conditions très particulières. En savoir plus…

Le camion plein des déchets ramassés dans la décharge sauvage. Crédit: Aines Arizmendi

3 – Côtes d’Armor, Baie de Saint-Brieuc, un parc éolien offshore est programmé, au travers du Grenelle de l’environnement et dans le cadre d’une stratégie de développement européen des énergies électriques renouvelables. La zone est pertinente parce que ventée,  avec une profondeur de 20 mètres à 10 km des côtes, ni trop loin, ni trop près, un cas idéal… mais pas trop, avec un conflit d’usages, au pluriel :la zone « pertinente » est aussi zone de pêche, de plaisance, et de trafic maritime, et surtout l’effet sur la houle est inconnu ou pressenti mauvais pas les usagers nautiques. La requête du Gardien, Jean, en plus de demander une étude d’impact sur la houle et les usages nautiques, consiste simplement à ce que les tables rondes pour ce projet soient ouvertes à l’ensemble des acteurs, y compris les usagers du littoral souvent oubliés. En savoir plus…

Combat Gardiens de la Côte: Action…Réaction

Ces exemples choisis montrent que la problématique n’est pas simple, et que la protection des vagues s’engage dans des situations parfois inextricables, entre situation d’urgence et de développement durable, l’une se faisant presque contre l’autre. Quoi dire, que faire, et que privilégier? Ces volontaires qu’on appelle Gardiens de la Côte se grattent la tête pour trouver les solutions, les approches à privilégier dans la protection de la vague, en évitant les ornières du genre « des éoliennes ou des vagues ? ».

Une telle question ne devrait pas survenir. Le problème commun pour tous ces combats reste le manque de concertation en amont. Nous avons parlé de rapports de pouvoir : le fait est que des conflits d’usages sont créés par des décisions prises sans concertation, obligeant les acteurs ignorés, telles les organisations de surf, à se positionner de manière frontale, et à être vus comme des « opposants » ; des décisions « imposées » créent des « opposants ». Les ornières du genre «éoliennes ou vagues ? » sont donc des questions mal posées, des fausses questions qui traduisent un rapport de force au détriment d’un travail de concertation. Dans les combats Vagues et Patrimoine, nos Gardiens de la Côte, dans un état d’esprit Surfrider, essaient alors de se sortir de ces questions mal posées, vers une situation de concertation : premièrement parce que Surfrider n’est pas un groupe d’intervention cagoulé, parce que l’opposition se fait aussi dans la concertation, et parce que la valeur de la vague dépend du regard de chacun.

Différentes personnes pour regarder les vagues

Le camion plein des déchets ramassés dans la décharge sauvage. Crédit: Aines Arizmendi

La valeur économique peut constituer un bon argument, si la mise en danger concerne un projet économique : aux Açores, prouver le potentiel économique de la vague, sous entendu du lieu de pratique, peut constituer une raison à entendre face à un projet qui présente des arguments économiques. C’est sur un même terrain d’arguments que l’on s’entend le mieux. Néanmoins, elle reste une stratégie d’ « urgence », à court terme.

Ce qu’il faudrait, c’est un argument d’autorité, ne pouvant être remis en question : imaginez-vous un littoral sans vagues ? Cela est difficile. Devant une artificialisation du littoral galopante, il s’agit dès maintenant d’appliquer des principes, pour pérenniser un plaisir hors de prix, ne serait-ce que celui d’aller à la plage pour voir des vagues. Dans l’intitulé de la thématique, le mot « Patrimoine » fait résonner l’idée d’une protection et préservation durable, avec une concertation pour des projets concernant le littoral qui deviendrait systématique, entre tous les acteurs. Mais pendant que les vagues ne peuvent être institutionnalisées, les pratiques le peuvent : donner une valeur patrimoniale à la pratique des vagues, c’est donner une protection aux vagues. La valeur des vagues existe dans le regard de celui qui l’apprécie, l’observe, s’y confronte et s’y confond ; les Gardiens de la Côte sont les fiers représentants de la communauté qui cherche à faire reconnaitre les vagues, via le programme Vagues et patrimoine. Vous aussi pouvez devenir Gardien de la Côte. Il ne tient qu’à nous de donner sens aux vagues.

Qu’en pensez-vous?

Nous donnons sens aux vagues, ces sens peuvent être différents mais concernent un même objet: les vagues. Un point de vue peut être de dire qu’outre son aspect « insaisissable » car onde éphémère, unique, la Vague oscille entre anonymat et sublime : banale, régulière pour certains, elle peut néanmoins susciter peur et satisfaction dans le même seconde ; chevauchée, observée, subie, l’homme, comme hypnotisé accède au seuil de son monde fini, dicible et avec peine devant l’évidente finitude de sa condition mêlé à la satisfaction de constater quelque chose qui le dépasse : l’homme éprouve l’espace d’un instant la liberté, se perdant dans une extase douloureuse.

Après tout, ce n’est qu’un point de vue. Et vous, quelle valeur donnez-vous à la vague?

Alban Derouet, Rédacteur environnement

Le rapport Gardiens de la Côte 2012-2013 est en ligne sur le site calameo et disponible sur le site internet Gardiens de la Côte. Pour suivre les actualités des Gardiens de la Côte, rejoignez les Gardiens sur la page Facebook « Keppers of the Coast ».