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L’Australie supprime sa taxe carbone, marche arrière justifiée ?

Coïncidence insolente, le premier ministre australien Tony Abbott vient de faire supprimer la taxe carbone – gaz à effet de serre (GES) – au moment où le pays a connu son année la plus chaude jamais observée. Entrée en vigueur en 2012 grâce à la Première Ministre de l’époque Julia Gillard, la taxe sanctionnait les plus gros pollueurs permettant ainsi une compensation financière à leur émission de GES. La suppression d’une telle mesure environnementale – première mondiale – intervient juste au moment où est étudié un vaste projet charbonnier au Nord-Est de l’Australie, nommé « Alpha Coal » : désastreux écologiquement, il émettra des millions de tonnes de gaz à effet de serre et mettra en péril la Grande Barrière de corail, à tel point que l’UNESCO a menacé l’Australie de l’inscrire sur la liste du patrimoine mondial en danger.

« Suppression de la taxe carbone pour relancer l’économie » : une première mondiale

A l’heure où l’ONU crée une Assemblée pour l’environnement face à des conséquences alarmantes et à venir d’un changement climatique accéléré, Tony Abbott, Premier Ministre australien depuis septembre 2013, supprime la taxe carbone pour relancer l’économie australienne. Le 17 juillet, le Sénat a approuvé la décision du gouvernement, avec une petite victoire de 39 voix contre 32. Opportunisme, court-termisme, et climato-scepticisme ont eu raison de la taxe.

Abbott - Gillard
A peine mise en vigueur par Julia Gillard (à droite), la taxe carbone aura été très éphémère avec la suppression par Tony Abbott (à gauche).

Christine Milne, dirigeante des Verts australienne avait prévenu que l’Australie deviendrait  « un paria international » si Tony Abbott allait au bout de sa résolution. Pour le chef du parti travailliste, Bill Shorten, il « a rendu ridicules les Australiens » et « tire l’Australie en arrière alors que le reste du monde va de l’avant ».

Face au désolément des uns et des autres, Tony Abbott se félicite : « C’est une grande nouvelle pour les familles australiennes et les petites entreprises de notre pays » et « Nous honorons nos promesses envers [la  population] et bâtissons une économie forte et prospère pour une Australie sûre ». Connu pour être un climato-sceptique depuis avoir qualifié le changement climatique de « connerie absolue », Tony Abbott , avait fait de la suppression de la taxe carbone une promesse électorale. C’est la première ministre de l’époque, Julia Gillard, qui avait mis en oeuvre cette taxe en juillet 2012, en obligeant les gros pollueurs à acheter des permis d’émission de CO2 – des droits à polluer – les incitant à réduire leurs émissions. D’une valeur de 18 euros (22 dollars australiens) pour chaque tonne de ce gaz rejetée, l’objectif était  de réduire les émissions de gaz à effet de serre, de 5% par rapport au niveau de 2000, dans une perspective de réduction de 80% en 2050.

Inflation des prix de l’électricité, à qui la faute ?

Cette taxe est devenue impopulaire dès sa mise en place, la faute à des industriels qui répercutaient son coût sur les consommateurs, via des factures d’électricité et de gaz plus élevées. Conséquence, le prix de l’électricité s’est vu augmenter de 10%, et celui du gaz de 9%. Des chiffres en or pour Abbott, qui n’hésita pas à surfer sur cet argument pour gagner une partie de son électorat.

Argument jugé fallacieux pour le magazine australien The Monthly, cité par Courrier International, qui montre que ce sont les entreprises de transport et de distribution qui ont participé à l’inflation des prix de l’électricité « pour s’en mettre plein les poches« . La journaliste Jess Hill, ajoute « la principale et seule raison pour laquelle les prix se sont envolés est liée aux investissements sur le réseau (45 milliards de dollars depuis 2009). Selon le Trésor, 51% de notre facture électrique passe dans les frais de réseau ».

Cependant, l’Australie voyait ses émissions de dioxyde de carbone baisser de 7%, information invisible pour un climato-sceptique comme Abbott. Pourtant il semble qu’avec la montée des prix, la population australienne avait appris à réduire sa consommation en énergie. Ce changement de politique et la suppression de la taxe carbone risque d’amener l’Australie – pays étant parmi les plus émetteurs de carbone – a augmenter à nouveau ses émissions (entre 8% et 18% d’ici à 2020 selon un rapport de la Banque Mondiale).

C’est un très mauvais signal envoyé au reste du monde qui peut générer un effet boule de neige, comme le soulève Frank Jotzo de l’Université nationale australienne « le message envoyé à l’international semble être le suivant : il y a un truc qui cloche avec cette politique. En réalité, la seule chose qui cloche en Australie, c’est la politique ».

Ajoutant au ridicule de la situation, les spécialistes ne sont pas convaincus d’une relance de l’économie par une suppression de la taxe carbone, avec des prévisions économiques qui montrent que l’abolition de cette mesure environnementale n’aura qu’un effet minime sur l’inflation. Ainsi, avec ou sans la taxe carbone, la différence serait quasi-nulle pour l’économie d’un pays.

« Bâtissons une économie forte et prospère » avec le charbon : Abbott s’est-il trompé d’époque ?


Alpha Coal met en danger la Grande Barrière et son écosystème avec un port situé à sa proximité.

Le secteur minier est un des points forts de l’économie australienne depuis 15 ans. Les grands groupes miniers australiens (charbon, cuivre, minerai de fer, etc.), parmi les plus gros émetteurs de CO2, étaient donc logiquement les premiers impactés par cette taxe.

Avec une taxe aujourd’hui supprimée, la voie est grande ouverte pour une augmentation des émissions de gaz à effet de serre.

Dans le même temps, un projet charbonnier hors-norme est en train de se mettre en place au nord-est de l’Australie, appelé Alpha Coal. Les prévisions annoncent que près de 30 millions de tonnes de charbon seront extraites et exportées vers l’Asie, par an.

La Grande Barrière de Corail sera doublement menacée.

L’augmentation du trafic maritime  et une augmentation des émissions de CO2 vont accroitre sa vulnérabilité.

Face à un désastre écologique annoncé, l’UNESCO, organisation de l’ONU, vient de menacer l’Australie d’inscrire la Grande Barrière sur la liste des patrimoines mondiaux en danger.

Le charbon fait partie des énergies fossiles les plus polluantes et dévastatrices, notamment dans son extraction. Alpha Coal est prévu pour s’étendre sur 60 000 hectares, avec une déforestation importante. Son fonctionnement nécessitera 176 milliards de litres d’eau, dans une zone où l’eau est une ressource précieuse : détournements et assèchements de rivières, impacts sur les nappes phréatiques, mise en danger du secteur agricole, première économie locale avec le tourisme marin…lui aussi mis en danger par ce projet.

C’est la Société Générale qui s’occupe de l’étude de la faisabilité économique du projet et de conseiller ses promoteurs dans la recherche d’investisseurs pour en boucler le montage financier. Cette banque française assure une ligne de défense face aux attaques des détracteurs, assurant qu’elle s’est « dotée des normes et des critères nécessaires pour juger de la légitimité et de l’acceptabilité environnementale du projet ».

Retour à l’age de carbone pour l’Australie, un mauvais signal pour le reste du monde

Surfrider Foundation Europe déplore le manque de concertation évident devant un tel projet qui n’apportera qu’un désastre écologique et la mise en banqueroute des économies locales (agriculture, tourisme, etc).

Quant à la taxe, le gouvernement australien de Julia Gillard l’avait adoptée en espérant ainsi opérer un levier vertueux sur la consommation d’énergie et les émission de GES. Mais avec sa suppression, c’est un comportement qui s’inscrit dans une vision du monde du début du XXème siècle, et montre une fois de plus très clairement qu’un changement sociétal est indispensable, et avec lui, un changement des comportements. A tous les niveaux.

Tony Abbott annonce une économie forte et prospère, mais cette économie étant dépendante d’un environnement aujourd’hui fragilisé par l’activité humaine, elle risque de disparaître aussi rapidement qu’une certaine taxe carbone australienne.

Alban Derouet, rédacteur environnement.

Sources: AFP, Le Monde, Courrier International, The Monthly, Banque Mondiale.