L’un des plus longs combats menés par Surfrider Foundation Europe pourrait bien toucher à sa fin, alors que l’Union européenne (UE) prévoit de bannir l’exploitation de gaz, de charbon et de pétrole au sein de la région arctique. Depuis de nombreuses années, Surfrider Foundation Europe plaide en faveur de l’interdiction du forage en mer dans l’UE et dans les eaux arctiques. En effet, la région arctique abrite des écosystèmes vulnérables aux espèces emblématiques, qui seraient gravement affectés par l’intensification des activités d’exploitation en mer. Afin de mieux comprendre les enjeux de cette stratégie environnementale ambitieuse, Yana Prokofyeva, chargée de mission européenne chez Surfrider Foundation Europe, nous livre ses clés de compréhension du sujet.
La nouvelle stratégie européenne n’a pas de valeur juridique pour les États membres, tels que le Danemark (Groenland), la Finlande et la Suède, qui disposent de territoires dans la région arctique. Penses-tu que ces pays soutiendront la proposition de la Commission européenne ?
Y.P. : Effectivement, la nouvelle stratégie en Arctique a été adoptée par la Commission européenne et n’entraîne pas d’effet juridique contraignant pour les États membres. En revanche, ce document revêt une importance considérable pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est la première fois que la Commission européenne met en place une interdiction en lien avec les énergies fossiles. Cette stratégie transmet ainsi un signal politique puissant quant aux priorités environnementales de l’UE, et elle exercera une pression sur les États membres, mais aussi sur les pays de l’Espace Economique Européen (EEE), comme la Norvège et l’Islande.
Ensuite, si la stratégie de l’UE est officiellement soutenue par les représentants des États membres, elle gagnera en poids politique et juridique, jusqu’à pouvoir représenter la position officielle de l’Union européenne entière. Nous avons déjà pu assister à un phénomène similaire avec d’autres stratégies européennes, notamment la stratégie en faveur de la biodiversité ou encore celle pour l’adaptation face au changement climatique.
En outre, la stratégie européenne en Arctique peut servir de référentiel pour la politique étrangère européenne en région arctique. Cela signifie que l’Union européenne fera pression sur d’autres pays et qu’elle parviendra, espérons-le, à dégager un consensus international à ce sujet, qui dépassera les frontières de l’UE.
De manière générale, les eaux arctiques sont partagées entre six pays, comme le Canada, la Russie, les États-Unis et le Danemark. Les intérêts qu’ils portent à cette région sont différents, voire parfois conflictuels. La région arctique possède un potentiel économique majeur en termes d’énergies fossiles. Sans compter que la fonte des glaces dans la zone favorise l’ouverture de nouvelles routes maritimes avantageuses. Par ailleurs, la région arctique constitue également un lieu stratégique propice au déploiement d’activités militaires, ce qui éveille à la fois les ambitions économiques et les intérêts géopolitiques. À ce titre, l’UE pourrait-elle réussir à rallier d’autres pays non-européens à sa nouvelle stratégie ?
Y.P. : Lors de la présentation de la stratégie en arctique, le commissaire européen chargé de l’environnement, des océans et de la pêche, Virginijus Sinkevičius, a affirmé : « Nous devons montrer l’exemple. Nous ne pouvons pas attendre que les autres agissent et prennent des décisions compliquées si nous ne le faisons pas nous-mêmes ».
Auparavant, l’Union européenne avait déjà manifesté son leadership à l’échelle internationale sur les questions environnementales, par exemple, en s’engageant pour la neutralité climatique d’ici 2050, un engagement rapidement suivi par d’autres pays comme les États-Unis, la Chine et le Canada, etc.
Dans tous les cas, nous n’avons pas vraiment le choix. La récente marée noire en Californie nous a rappelé que le forage en mer peut engendrer une véritable catastrophe à tout moment et qu’aucun pays ne peut se permettre que les eaux arctiques soient touchées par un désastre comparable.
Penses-tu que la nouvelle stratégie en arctique de l’UE pourrait préparer le terrain pour d’autres mesures plus ambitieuses liées à la protection des milieux marins dans les eaux européennes ?
Y.P. : Surfrider Foundation Europe plaide pour étendre le bannissement du forage en mer dans l’Arctique à d’autres régions marines européennes à Haute Valeur de Conservation (HVC), telles que les Aires Marines Protégées (AMP). Leur protection est essentielle pour renforcer la résilience de l’Océan, ainsi que son rôle d’atténuation du changement climatique. Il va sans dire que les exploitations pétrolières et gazières en cours ne sont pas compatibles avec la conservation de ces écosystèmes fragiles.
Si nous voulons lutter contre le changement climatique, nous devons nous efforcer de réduire drastiquement notre consommation d’énergies fossiles et de développer des solutions énergétiques durables, au lieu de poursuivre les activités de forage au large de nos côtes. L’interdiction du forage en mer dans l’Arctique est une première étape que nous attendions depuis longtemps. Cependant, elle doit être accompagnée d’un plan européen cohérent de transition vers l’abandon des activités de forage pétrolier et gazier en mer, en commençant par leur interdiction immédiate au sein des AMP.
Outre l’interdiction de l’exploration et de l’exploitation des énergies fossiles, la stratégie de l’UE prévoit-elle d’autres mesures en faveur de la conservation de la biodiversité marine dans la région arctique ?
Y.P. : La stratégie en Arctique de l’UE a également pour objectif de réduire les conséquences du transport maritime mondial dans la région – une initiative fortement soutenue par Surfrider Foundation Europe. Toutefois, nous attendons de l’UE qu’elle aille au-delà de l’interdiction d’utiliser le fioul lourd, récemment votée par l’Organisation Maritime Internationale (OMI). En plus d’être extrêmement nocif pour les écosystèmes marines, le fuel-oil, ou mazout, accélère le changement climatique et la fonte des glaces, étant donné que les particules de carbone suie déposées sur la glace affaiblissent le phénomène de réverbération.
Chez Surfrider Foundation Europe, nous soutenons également l’idée que parvenir à préserver l’Arctique de manière efficace doit passer par une pression européenne en faveur d’un accord international visant à interdire la navigation au sein de la route maritime arctique. La nouvelle stratégie de l’Union européenne représente une belle avancée pour l’Arctique, néanmoins l’ambition doit se poursuivre, à la hauteur de l’urgence environnementale actuelle.
Pour en apprendre davantage sur les forages en mer, découvrez le Manifesto de Surfrider Foundation Europe.