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Art, environnement et numérique à Surfrider Foundation Europe : entretien avec Olga Kisseleva

A l’occasion de sa première résidence d’artiste, Surfrider Foundation Europe a retenu la candidature d’Olga Kisseleva. Fondatrice du laboratoire Art et Science à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, l’artiste joue un rôle pionnier dans la création contemporaine et la réflexion sur les formes de création numériques émergentes. Surfrider souhaite profiter de son implication dans la COP 21 (conférence des parties de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques), qui se tiendra cet automne à Paris, pour ancrer le projet de l’artiste dans son expertise sur les relations entre océan et climat, le changement climatique et ses effets ainsi que les solutions individuelles et collectives aux menaces qui pèsent sur les milieux marins. Nature et artifice, lieux géographiques et espaces virtuels, contributions citoyennes et enjeux globaux dialogueront dans cette création qui exploitera de nouveaux modes de présentation dynamique et de mises en récit collaboratives. L’objectif, en vue de la COP 21, reste inchangé: inciter le public à s’interroger sur son implication au sein d’un environnement incessamment modifié.

SFE: Pouvez-vous expliquer rapidement le principe de l’oeuvre et le dispositif que vous envisagez ?

En accord avec les thèmes portés par Surfrider, je prépare un dispositif nommé « AntropOcéan ». Son but est de mener le spectateur à s’interroger sur son implication au sein d’un environnement que nous ne cessons de moduler à mesure de nos aspirations, en mettant en avant la mer. Le point névralgique du projet réside en la création d’un site web hébergeant une base de données consacrée au changement climatique et plus généralement aux liens entre Océan, climat et société. Ce site permettra à la fois de générer les aperçus que le spectateur verra en regardant l’oeuvre et de développer un aspect participatif : dans le prolongement du projet, le public pourra nourrir lui-même la base de données grâce à un QR code spécifique. De façon plus concrète, l’oeuvre prend la forme d’un dispositif de visualisation graphique composé d’objets numériques qu’il connecte et cartographie visuellement.

 

SFE: Avez-vous déjà abordé des thèmes comme l’océan et le climat dans votre travail ? Dans votre parcours, qu’est-ce qui vous a amené à être intéressée par une résidence avec Surfrider foundation Europe ?

J’ai effectivement abordé à de nombreuses reprises l’écologie dans mon travail, où la nature tient une place importante : la confrontation du réel et du virtuel, de la nature et de la technologie sont des constantes dans mes projets. Pourtant je n’avais encore jamais consacré de réflexion spécifique à l’océan. C’est un thème qui m’intéresse et l’appel à résidence de Surfrider offrait une belle occasion d’y réfléchir, surtout en venant au Pays Basque car je suis très attachée à cette région.

SFE: Quel sont les avantages et les difficultés d’employer un vocabulaire numérique, des moyens « virtuels », pour parler d’un thème à première vue concentré sur des phénomènes physiques ? Comment envisagez-vous le paradoxe qui consiste à employer ces technologies, dont on sait qu’elles ont un impact énorme sur l’environnement, précisément pour interpeller le public sur les dangers que notre modèle socio-économique fait peser sur lui ?

Le numérique est aujourd’hui le langage commun de nos sociétés. Je trouve que son utilisation facilite l’accès à l’oeuvre et à son message pour les spectateurs, même s’ils ne sont pas familiers de l’art contemporain. Cet aspect est d’autant plus pertinent pour une exposition au Surfrider Campus et sur la route avec le Campus Tour, où la sensibilisation du public est plus que jamais au centre des préoccupations.

Tout l’intérêt de choisir le numérique est lié à cet aspect du projet: on ne peut pas ne pas vivre avec son temps. Les technologies numériques ne sont pas seulement omniprésentes – elles forment notre esprit, déterminent nos moyens d’expression. Il faut donc savoir employer ce vocabulaire; de plus, c’est seulement en utilisant ces technologies que nous pouvons les adapter et les améliorer (copyleft, licences ouvertes, etc…). « AntropOcéan » vise à exploiter la richesse du langage numérique en s’inscrivant dans cette démarche.

SFE: Comment intégrez-vous au projet la participation du public et le fait que l’oeuvre se déplace ? Quelle importance et quel intérêt ces aspects du travail ont-ils pour vous ?

L’oeuvre ne se déplace pas à proprement parler : elle reste sur le serveur, mais c’est cette permanence même qui fait qu’elle est visible de partout et connectée à chaque nouveau point d’accès qui s’ouvre. C’est évidemment un mécanisme spécifique des technologies numériques.

Pour ce qui est de l’interactivité, l’oeuvre multimédia est interactive par définition et cherche à faire du spectateur un partenaire. Selon son degré d’engagement, l’interaction peut prendre une forme et une ampleur différentes. Le rôle de l’artiste, au-delà de la mise en garde qui constitue le message central de l’oeuvre, consiste à proposer différents niveaux d’interaction pour amener le public vers une appropriation aussi forte que possible de l’oeuvre et de son message.

Trois niveaux d’interactivité sont visés : interaction programmée (le spectateur se borne à prendre en main l’oeuvre pour en comprendre la logique, ce qui déclenche des réponses programmées du dispositif), action programmée (le spectateur est peu à peu responsabilisé et commence à « négocier » avec l’oeuvre, il prend conscience de son emprise sur elle et de la liberté qui y est liée) et action sollicitée. Dans ce dernier cas, le spectateur « coréalise » l’oeuvre : il donne à ses initiatives et à leurs résultats dans le dispositif un sens qui lui appartient. Au fil de cette participation à l’oeuvre, son geste se charge de ce sens. C’est à travers ce mécanisme que l’artiste tente de communiquer avec lui et de lui suggérer une action : en devenant acteur du dispositif, il peut aussi s’approprier le changement de comportement visé par le projet.

Pour en savoir plus, retrouvez Olga Kisseleva en conférence jeudi 23 avril prochain à l’Ecle d’art de l’Agglomération Côte Basque (Bayonne) et restez à l’affût : à l’issue de la résidence, son oeuvre sera exposée au Surfrider Campus de Biarritz puis parcourra les villes européennes avec le Surfrider Campus Tour 21 !

Edouard Benichou, rédacteur Environnement