Le 17 février dernier, la cour d’appel de Bordeaux rendait son délibéré dans l’affaire Smurfit. Relaxée en première instance en 2013, la multinationale papetière Smurfit Kappa est finalement déclarée coupable au pénal comme au civil pour les dommages causés à l’environnement en juillet 2012 suite à la rupture d’une des cuves de son usine de Biganos (Gironde). Les substances noirâtres qu’elle contenait, notamment de la soude caustique, avaient en effet envahi les cours d’eau locaux et le bassin d’Arcachon avant d’être rejetés à l’océan via le Wharf de la Salie – canalisation déjà soupçonnée de servir régulièrement à des rejets nocifs non loin des zones de baignade et d’activités nautiques. Excédés par l’incident, riverains et surfers locaux s’étaient regroupés autour de Jean-Vincent Accoce, surfer local et membre de l’association Michel d’Agata, qui avait sollicité le soutien de Surfrider foundation Europe en devenant Gardien de la Côte pour ce combat. Après une première interview à l’époque des faits, nous avons souhaité connaître son opinion à l’issue de l’affaire, dont vous trouverez un résumé sur le site des Gardiens de la Côte.
SFE : Que représente la condamnation de Smurfit pour toi et que retiens-tu du déroulement de l’affaire ?
C’est une vraie victoire. Lors de l’appel, une étape a été franchie par la justice : un précédent a été créé. La relaxe de 2013, difficile à comprendre, tenait à la formulation juridique des accusations pour atteinte à l’environnement par suite de négligences : l’appel a permis de les reformuler et il est rassurant qu’elles aient été entendues. Il fallait une condamnation car la pollution, de l’aveu même de Smurfit, était avérée : ne pas sanctionner le groupe aurait laissé entendre que l’impunité est acceptable dans ce genre de situation. Evidemment, on peut regretter que l’amende ne soit pas plus forte pour une multinationale comme Smurfit et au vu de nos efforts. Beaucoup ici la jugent insuffisante, mais notre indignation devant l’incident et la relaxe ne pouvait pas dicter seule l’attitude des juristes. Le droit de l’environnement ne peut pas évoluer seulement au rythme des émotions du public.
Smurfit condamné à 30 000€ d’amende suite à la pollution d’un affluent du Bassin d’Arcachon. http://t.co/SKAn5zIuvD pic.twitter.com/NHCrqEZ6RT
— Surfrider Europe (@surfridereurope) 19 Février 2015
Problèmes juridiques à part, cette victoire compte beaucoup dans la mesure où les réparations perçues par Surfrider rappellent que les pratiquants d’activités nautiques, tout comme les pêcheurs et les autres riverains, sont des citoyens qui ont le droit de faire entendre leur voix et doivent être respectés comme tels. Je pense notamment à l’attitude de la préfecture, qui nous avait assurés le 11 juillet 2012 qu’il n’y aurait pas de rejets via le Wharf de la Salie alors que l’arrêté autorisant ces rejets était déjà signé : nous n’avons pas à être traités comme quantité négligeable par les représentants de l’Etat sous prétexte que nos relations avec la mer incluent voire se limitent à une pratique récréationnelle, que cette pratique soit professionnelle (écoles de surf…) ou non.
SFE : Quelles sont pour toi les conséquences finales de l’incident et de l’affaire pour la protection des écosystèmes de la région? Comment se sont-ils remis, font-ils l’objet d’une vigilance et d’une protection accrues ?
L’impact écologique sur le Bassin d’Arcachon, les cours d’eau et l’océan a été évalué inégalement. Pour ce qui est des macro-organismes, des tests ont été réalisés peu après l’incident : le pire a été évité et à cette échelle, on peut dire que l’impact du liquide déversé, initialement fort (350kg de poissons morts sur le coup), est largement résorbé. En revanche, les résultats des études sur la microflore qui devaient être conduites par l’Université de Bordeaux n’ont pas été évoqués au procès à ma connaissance. De façon générale, il faut se rappeler qu’il y a encore une quinzaine d’années, les rejets sauvages, certains sans doute plus nocifs qu’en 2012, se faisaient dans l’indifférence générale.
Le Wharf est connu depuis toujours comme une canalisation inachevée, trop proche de la plage et sujette à l’ensablement, mais l’affaire n’a pas entraîné de remise en chantier. Le SIBA (Syndicat intercommunal du Bassin d’Arcachon) et les écoles de surf ont obtenu un test indépendant financé par Smurfit un an après l’incident : la pollution est réelle dans les environs mais il est difficile d’en distinguer l’origine faute d’une surveillance continue, or les rares efforts restent saisonniers. Citoyens et écoles de surf ont tenté de mettre en place une surveillance continue suite à l’affaire mais cette initiative s’est relâchée quand l’émotion est retombée. Un contrôle régulier hors saison nécessite une mobilisation plus forte.
Dans l’usine elle-même, peu de choses ont vraiment changé mais il ne faut pas donner dans le procès d’intention : l’installation est vieille et Smurfit la rénove, même si le rythme reste trop lent. Ce qui est plus inquiétant, c’est que la DREAL (Direction régionale de l’Environnement) mandatait Smurfit pour surveiller son propre site sans un contrôle suffisant et que ce système n’a pas été remis en question. Enfin le procès marque une rupture du dialogue avec le groupe, rupture compréhensible mais non profitable : la surveillance de l’eau aurait pu faire l’objet d’un effort collectif…
SFE : Que retiens-tu de ton expérience en tant que Gardien de la Côte, face à Smurfit et avec les autres parties civiles, notamment les associations locales ?
Sans le programme Gardiens de la Côte, je ne serais pas allé jusqu’au procès et je pense que beaucoup d’autres locaux n’auraient pas pu prendre la parole de façon raisonnée au-delà des premiers moments d’indignation. L’appui de Surfrider m’a aidé à être pris au sérieux, mais aussi à mieux animer les réunions d’information au niveau local et à envisager moi-même les problèmes avec plus de recul. L’assistance juridique de l’association nous a permis de savoir à quoi nous attendre et de comprendre avec moins d’indignation la relaxe, qui tenait surtout à une erreur technique du procureur.
Toutefois, ma position de Gardien de la Côte a aussi compliqué certains aspects. Je ne suis pas ordinairement investi pour l’environnement aussi fortement : l’association dont je suis membre, Michel d’Agata, est surtout sportive. D’où une situation complexe pour moi et parfois ingrate : j’agissais ponctuellement en tant que surfer local et riverain, tout en étant lié à Surfrider qui se bat pour l’environnement à l’international et de façon systématique, ce qui est très différent. De plus, nos alliés incluaient des associations et des personnes avec qui Surfrider est ou a été en conflit, par exemple autour du combat Cap Ferraille, et d’autres qui souhaitaient conserver des soutiens dans le monde politique local en temporisant le conflit.
SFE : Quelle importance attribues-tu rétrospectivement à ta décision de faire appel à Surfrider et comment décrirais-tu le rôle de l’association dans cette affaire ?
L’expérience de Gardien aura été globalement très positive, cette victoire crée un précédent fondamental. L’un des arguments de la défense lors du procès était que Smurfit n’avait jamais encore été condamnée pour pollution et que cela démontrait la bonne volonté et l’efficacité de l’entreprise dans l’entretien des lieux. Cet argument m’a indigné et il est rassurant de penser qu’il ne pourra plus être employé à l’avenir.
L’avantage d’associations professionnelles et spécialisées comme Surfrider est de permettre à ce type de combat local de bénéficier d’une démarche politique plus générale de longue haleine menée par des experts. Les associations bénévoles ont rarement les moyens de ce travail de lobbying ; en revanche, ma position parfois délicate m’a confirmé qu’il est nécessaire pour des associations de cette ampleur de s’appuyer sur une base de bénévoles, de collaborer avec les locaux. Cette double mobilisation a été la clé pour moi, elle a permis à la colère des riverains de trouver une expression raisonnée et mené à cette condamnation qui reste malgré tout exemplaire. Il faut espérer que grâce à ce premier pas, dans quelques années ou décennies, les sanctions infligées se feront plus sévères et plus dissuasives.
La victoire des Gardiens de la Côte dans l’affaire Smurfit est une bonne nouvelle, mais bien d’autres combats sont encore à gagner en Gironde et ailleurs: retrouvez-les sur le site des Gardiens!
Edouard Benichou, Rédacteur environnement