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Les prés salés et les herbiers marins remplissent de nombreuses fonctions écologiques essentielles à intégrer dans toute stratégie visant à atténuer et à s’adapter aux impacts du changement climatique. Leur capacité à retenir les sédiments, contribuant ainsi à limiter l’érosion côtière, et leur rôle de barrière naturelle contre les vagues de submersion ont été largement démontrés.
Ces écosystèmes participent également à la filtration des nutriments et abritent une biodiversité exceptionnelle.
En tant que puits de carbone très performants, ils sont regroupés avec les mangroves sous l’appellation « écosystèmes de carbone bleu » (Nellemann, 2009). Ils figurent parmi les écosystèmes les plus productifs, capables d’accumuler efficacement de la matière organique dans le sol sur de longues périodes, stockant ainsi d’importantes quantités de carbone dans leurs sédiments.
Pour mieux protĂ©ger ces Ă©cosystèmes essentiels, il est important de les comprendre en profondeur. C’est pourquoi Surfrider a menĂ© une Ă©tude en 2023 et 2024 dans la baie de Txingudi, situĂ©e dans les PyrĂ©nĂ©es-Atlantiques. Cette zone est particulièrement connue pour ses vastes Ă©tendues de Zostera nolteii, une espèce clĂ© des herbiers marins, et de Spartina alterniflora, une plante typique des prĂ©s salĂ©s Ă©galement appelĂ©e « spartine des marais salĂ©s ».
Grâce à cette recherche, notre équipe d’experts a approfondi ses connaissances sur ces milieux uniques pour mieux les préserver et promouvoir leur rôle essentiel dans la lutte contre le changement climatique.
Les écosystèmes du carbone bleu dans la Baie de Txigundi (Pyrénées-Atlantiques)
Les herbiers marins et les prés côtiers sont parmi les écosystèmes les plus efficaces pour capturer et stocker le carbone. Ce carbone, appelé carbone organique, est accumulé dans les sédiments de ces milieux naturels.
💡Qu’est ce que des sédiments ?
Les sédiments, ce sont des morceaux de matière, comme des grains de sable, des cailloux, des fragments de coquillages ou même des restes de plantes et d’animaux, qui se forment lorsque des roches ou d’autres matériaux se décomposent.
Une étude menée par Surfrider a pour objectif de mesurer la quantité de carbone organique stockée dans les 50 premiers centimètres de sédiments dans trois types de zones : les herbiers marins (couverts de Zostera nolteii), les prés salés (couverts de Spartina alterniflora) et les zones adjacentes de sédiments nus (sans végétation) dans la baie de Txingudi.
L’étude cherche également à comprendre d’où provient ce carbone organique dans chaque zone en utilisant une méthode scientifique appelée analyse des isotopes stables. Pour simplifier, cette méthode permet de « remonter la piste » des différentes sources de carbone, un peu comme si on identifiait l’origine d’un ingrédient dans une recette. Une première campagne de prélèvements a eu lieu en 2023 dans les prés salés et les sédiments nus, suivie d’une seconde en 2024 qui a inclus les trois types de zones.
La baie de Txingudi, située au sud du Golfe de Gascogne, est une zone soumise à une forte activité humaine : elle est entourée d’une zone urbaine, proche d’un aéroport et d’un port de plaisance. Aucune étude n’avait encore été menée dans cette région pour évaluer les stocks de carbone organique ou en déterminer les sources. Pourtant, cette zone est classée NATURA 2000 et reconnue comme zone humide d’importance internationale par la Convention Ramsar. Elle abrite divers habitats, notamment des herbiers marins, dont la surface est passée de 1,27 hectare en 2013 à 4,25 hectares en 2020, et des prés salés.
Cette étude est la première à analyser l’impact de la végétation côtière sur le stockage du carbone organique dans cette baie. Elle utilise également la méthode des isotopes stables pour mieux comprendre l’origine et l’évolution du carbone stocké, ainsi que les processus naturels qui influencent ces écosystèmes appelés écosystèmes de carbone bleu.
Qu’a-t-on pu observer ?
Cette étude montre que différents types de végétation ont des rôles distincts dans le stockage du carbone organique (le carbone provenant de matière vivante) dans les sédiments.
- Dans les zones avec végétation : Le carbone des premiers centimètres des sédiments provient principalement des plantes qui poussent dessus.
- Dans les zones sans végétation : Le carbone vient surtout des roches contenant des minéraux carbonés.
Dans la baie de Txingudi :
🌱 Les herbiers marins (Zostera noltei) : Les stocks de carbone y sont faibles comparés à ce qui est observé ailleurs. Les résultats des analyses ne montrent pas de différence claire avec les stocks de carbone des zones non végétalisées. Cela pourrait amener à penser notamment que l’écosystème n’est pas encore suffisamment mature pour avoir constitué un stock important là où les prélèvements ont été effectués. En ce sens, un travail supplémentaire serait nécessaire pour tester différentes hypothèses.
🌱 Les prés salés (Spartina alterniflora) : Ils stockent plus de carbone organique dans le sol que les zones sans végétation, ce qui indique qu’ils agissent comme des puits de carbone efficaces. Cependant, les sédiments dans ces zones ont très peu de carbone inorganique (non issu de la matière vivante), ce qui pourrait fragiliser leur structure.
Les analyses isotopiques (qui permettent de suivre l’origine du carbone) montrent :
- Dans les zones végétalisées, le carbone vient principalement des plantes présentes.
- Sous les herbiers marins, le carbone diminue avec la profondeur et finit par ressembler au carbone des roches.
- Sous les marais salés, la quantité de carbone reste stable même en profondeur, ce qui indique un fonctionnement différent.
Ce que cela nous apprend …
Cette étude apporte une première compréhension des mécanismes de stockage du carbone dans la baie de Txingudi, mais elle soulève aussi des questions. Pour aller plus loin, il faudrait :
- Réaliser des prélèvements dans plusieurs zones de la baie pour mieux comprendre comment le stockage varie d’un endroit à l’autre.
- Étudier les flux de carbone dans l’air et l’eau, grâce à des outils comme des capteurs spécifiques ou des techniques de datation pour mesurer la vitesse à laquelle le carbone s’accumule.
En résumé, cette étude fournit une première estimation du rôle des herbiers marins et des prés salés en tant que puits de carbone dans la baie de Txingudi. Elle constitue une base précieuse pour mieux comprendre ces écosystèmes et mettre en avant leur importance dans la lutte contre le changement climatique.
Cependant, cette recherche met également en lumière la nécessité de poursuivre les investigations. Car si les chiffres moyens sur les stocks de carbone dans les écosystèmes de carbone bleu sont disponibles à l’échelle mondiale, ces stocks varient fortement selon les régions. Cette variabilité souligne l’importance de mener davantage d’études locales pour obtenir des évaluations plus précises et mieux comprendre les différences entre les zones, en particulier dans les régions hors des tropiques, qui ont été moins étudiées jusqu’à présent.
Améliorer ces connaissances et intégrer ces données dans les politiques locales, nationales et internationales dédiées à la lutte contre le changement climatique est crucial. Cela permettrait une meilleure reconnaissance de ces écosystèmes et renforcerait leur protection : actuellement, les écosystèmes de carbone bleu subissent de graves détériorations à l’échelle mondiale : 29 % des herbiers marins et 50 % des prés salés ont déjà disparu.