Mardi 28 Avril 2015, le Parlement européen a adopté un règlement qui pourrait bien constituer un premier pas essentiel dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre des innombrables navires qui circulent dans les eaux de l’Union. Il ne s’agit pas encore d’une mesure de réduction mais d’un préalable que la Commission juge nécessaire : dans les prochaines années sera mis en place un protocole dit MRV (Monitoring, reporting and verification : surveillance, déclaration et vérification), qui permettra de contrôler les émissions de certains navires circulant entre, vers et depuis les ports européens. A l’heure où de nombreux pays de l’Union, dont la France, tardent encore à légiférer dans le domaine de la pollution maritime, on ne peut que se réjouir de cette mesure. Toutefois, sa date d’application demeure lointaine et il ne s’agit encore que d’un précédent.
Enfin une mesure plus précise des émissions de CO2 liées au transport maritime
Convaincue que la réduction des émissions de gaz à effet de serre (principalement de CO2) liées au transport maritime européen doit être progressive, la Commission européenne a estimé que la mise en place d’un système MRV d’ici 2018 était une première étape satisfaisante. En effet, on ne dispose aujourd’hui que d’estimations imprécises, tant sur les émissions que sur l’efficacité énergétique des navires. Or, avec le MRV, le calcul des émissions annuelles pourra être effectué pour tout navire d’une jauge brute supérieure à 5000 tonnes circulant en Europe. Cette catégorie, qui représente seulement 55% du trafic, est en effet responsable d’environ 90% des émissions !
Ces résultats permettront de meilleures estimations qui pourraient réduire l’écart entre la connaissance des pollutions d’origine terrestre et celle, bien moins avancée, des pollutions maritimes, qui sont moins sévères en termes de rejets gazeux mais réelles. On peut donc s’attendre à ce qu’ils offrent des arguments aux nombreux acteurs qui souhaitent une politique de réduction plus engagée et, de façon plus générale, permettent à l’Union une prise de décision mieux informée.
De même, ils devraient permettre une harmonisation de la politique des Etats qui peine actuellement à se faire. Par exemple, la France, déjà épinglée en 2007 pour son manquement à transcrire dans les délais la législation européenne limitant la teneur en soufre des combustibles marins, vient d’être rappelée à l’ordre fin avril par un avis motivé qui l’expose à une procédure judiciaire.
Une prise de conscience et une action à la hauteur de l’urgence ?
D’après les résultats de l’analyse d’impact menée en amont, la mise en place du système MRV permettrait de réduire les émissions maritimes européennes de près de 2 % d’ici à 2030, tout en réalisant 1,2 milliard d’euros d’économies. Au-delà de ces retombées immédiates, relativement faibles, il demeure que le vote des députés répond à une situation d’urgence par des mesures qui ne pourront être instaurées qu’à long terme. Toutefois, ce mouvement montre une prise de conscience des difficultés de l’Europe : en dépit d’objectifs de réduction des émissions de CO2 en général (en 2011, le Livre blanc de la Commission préconisait une baisse d’au moins 40% d’ici à 2050), ses émissions maritimes continuent d’augmenter.
Cette augmentation traduit une réalité inquiétante : les accords internationaux, tout comme la couverture médiatique des problèmes liés au changement climatique, négligent souvent l’océan alors qu’il joue un rôle essentiel dans le climat et sert à la plus grande part de nos transports. Objectifs et mesures se concentrent en effet sur les transports routiers : la volonté politique d’instaurer une prise en compte européenne des émissions maritimes est donc une vraie nouveauté. Il faut espérer que la dynamique qui vient d’être lancée permettra bientôt de modérer ce paradoxe.
Comment aller plus loin ?
Toutefois, comme de nombreux députés l’ont fait remarquer lors du vote, il serait dommageable que cette dynamique se limite à l’Europe. La mesure, tardive et dotée d’un délai d’application de trois ans, souligne sans y remédier pour l’instant le vide dans les accords internationaux – pas uniquement européens. C’est pourquoi ses partisans ont émis le souhait que l’Europe défende ce projet au sein de l’Organisation Maritime Internationale. Avec l’organisation, cet hiver, de la COP 21 de Paris où les Etats membres de la convention-cadre des Nations Unies sur le climat seront amenés à définir les orientations de leur politique climatique pour les prochaines années, le moment semble bien choisi.
Il est primordial que l’Union Européenne adopte une politique volontariste afin de promouvoir un transport maritime durable conciliant les sphères économiques, sociales et environnementales et ainsi porter un message fort auprès de l’OMI en vue de donner une dimension internationale à ces questions.
– François Piccione, Assistant Transports et Infrastructures Maritimes, Surfrider Foundation Europe
De tels accords internationaux présenteraient au moins deux grands avantages. Tout d’abord, l’amélioration du bilan carbone des transports maritimes n’en serait que renforcée ; ensuite, cela préviendrait la fuite de certains navires vers des zones moins regardantes afin que l’Europe ne se trouve pas défavorisée du fait de ses efforts. Par ailleurs, lancer le débat au niveau international permettrait une remise à plat et une harmonisation des efforts de la communauté dans tous les modes de transport, notamment aérien. Bien plus polluant que le transport maritime, ce dernier n’a pas non plus bénéficié de politiques assez volontaristes ni d’innovations assez pertinentes pour que ses lourds rejets de CO2 soient significativement diminués…
Le sujet vous intéresse ? En novembre, à l’approche de la COP 21, Surfrider Foundation Europe se mobilisera pour lancer une conférence à dimension européenne qui abordera la promotion de solutions innovantes dans le domaine de la réduction des rejets de CO2 des navires. Une conférence en collaboration avec Armateurs de France sur l’engagement des armateurs dans la réduction des émissions est également prévue : n’oubliez pas de nous suivre pour en apprendre plus !
Edouard Benichou, rédacteur Environnement