En octobre dernier, quelques semaines avant ce qui devait être le dernier volet de négociation dans le cadre du Traité international contre la pollution plastique, l’OPECST (l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques) s’est intéressé à l’impact du plastique sur la santé humaine.
A l’initiative de Philippe Bolo, député modem particulièrement engagé sur le sujet du plastique, une audition publique d’expert.e.s scientifiques s’est tenue pour faire le point sur les connaissances acquises au sujet des effets du plastique, et des substances chimiques associées, sur la santé humaine.
Car si les effets néfastes du plastique, et notamment de la pollution plastique, sur l’environnement sont démontrés scientifiquement et connus de tous, ils le sont moins concernant la santé humaine et les risques sanitaires que le plastique entraîne, notamment en raison de la difficulté d’obtention de résultats harmonieux.
Voici les points que nous avons retenu de ce rendez-vous particulièrement intéressant.
#1 Il n’y a pas UN mais bien DES plastiques
L’audition public d’expert.e.s a débuté par un rappel important sur la nature même du plastique : il s’agit d’un composé chimique réalisé à partir de toutes petites molécules, les “monomères”, assemblées entre elles solidement pour obtenir un “polymère”. On ajoute ensuite, à ce polymère, différents éléments (oxygène, chlore etc.) et substances chimiques pour créer le plastique. Aujourd’hui on comptabilise plus de 16 000 substances chimiques rattachées à la composition des plastiques et plus de 4 000 plastiques différents mis sur le marché (PVC, polyéthylène (PE), polypropylène (PP), le polystyrène, le polyéthylène téréphtalate (le fameux PET) etc.)
Illustration issue du site de l’ADEME
#2 Il y a dans le monde assez de plastiques pour emballer 50 fois la France
Depuis la découverte du plastique et sa mise sur le marché, sa production ne fait qu’augmenter.
Elle a doublé durant les 20 dernières années et devrait doubler encore lors des 2 prochaines décennies.
En 2024, environ 500 millions de tonnes de plastique ont été produites dans le monde, soit (si cette quantité était du film étirable alimentaire) assez pour emballer 50 fois la France.
#3 La production de plastique est responsable de 5% des émissions de GES mondiales (hors agriculture)
Le plastique est un véritable fléau mondial puisqu’il est à l’origine de 5% des émissions mondiales de gaz à effets de serre (hors agriculture), soit 4 fois plus que le secteur de l’aviation, aujourd’hui très pointé du doigt.
75% des émissions de GES en lien avec le plastique sont directement causés par la production directe des monomères et autres produits chimiques plastiques.
#4 Des déchets plastiques aux micro et nanoplastiques, le plastique est partout
Les plastiques sont en augmentation constante tout comme la quantité de déchets rejetés. Au niveau mondial, moins de 10% des déchets plastiques sont recyclés.
En 2019, 22 % des déchets plastiques (soit 79 millions de tonnes) étaient mal gérés, c’est-à-dire ni recyclés, ni mis en décharge, ni incinérés. Cette gestion catastrophique des déchets, associée à la résistance des plastiques, se traduit par leur omniprésence dans l’environnement : les plastiques se dégradent mais ne disparaissent pas, ils deviennent ce qu’on appelle des microplastiques qui se disséminent en masse dans le milieu.
Guillaume Duflos, scientifique et directeur de recherche à l’Anses, évoque même l’existence d’un “plasticomérat”, une nouvelle formation rocheuse constituée de plastiques – signe d’un impact environnemental fort et sur le long terme.
La petite info en + Selon une étude de l’OCDE, si les pratiques actuelles en matière de gestion des déchets ne s’améliorent pas, la quantité de déchets plastiques mal gérés devrait atteindre près de 270 millions de tonnes à l’horizon 2060 (les déchets augmentant davantage dans les pays ayant des systèmes de gestion des déchets moins développés).
#5 La multitude et la diversité des plastiques entrainent des difficultés d’études de leurs effets sur la santé
La grande diversité des plastiques complique le travail des scientifiques pour comprendre leurs effets sur la santé, notamment ceux des microplastiques. Chaque type de plastique nécessite une méthode d’analyse différente, ce qui rend leur étude complexe et entraîne des obstacles que les chercheurs appellent des « barrières méthodologiques ».
Cette difficulté limite la détection des microplastiques dans les échantillons humains et environnementaux, conduisant à une probable sous-estimation des quantités réelles, ce qui est particulièrement préoccupant. Ce manque d’harmonisation dans les méthodes d’analyse freine également la publication d’études et la diffusion des connaissances.
Pour mieux comprendre et faire connaître les impacts de la pollution plastique sur la santé, il est essentiel d’uniformiser les méthodes scientifiques utilisées.
#6 Nous “absorbons” du plastique lorsque nous respirons, mangeons, buvons ect.
L’exposition de nos organismes au plastique se fait aussi bien de manière directe, par inhalation, que de manière indirecte, par le biais des écosystèmes avec lesquels nous interagissons : les espèces animales et végétales que nous consommons, les produits du quotidien que nous utilisons par exemple.
L’air que nous respirons est chargé de micro et nanoplastiques. Nous inhalons ainsi approximativement 30 millions de particules plastiques par an, comme le rappelle Sonja Boland, ingénieure de recherches de l’université Paris Cité, et en ingérons au moins autant.
La petite info en + Les récentes études réalisées ont démontré l’existence d’un transport troposphérique et intercontinental des microplastiques : tous les plastiques que nous déversons, volontairement ou non, dans l’Océan, risquent de nous revenir via l’air.
#7 Le plastique a été détecté dans de nombreux organes, allant des poumons aux testicules
Les poumons, la peau ou encore le côlon font partie des principaux organes d’absorption. Il a été démontré que les plastiques peuvent aussi pénétrer dans le sang et les nerfs, atteignant ainsi des organes dits “lointains” : le cerveau, le placenta, les reins, les testicules…
Une étude estime la concentration de plastique dans le cerveau à 5 milligrammes par gramme soit 0,5% de la masse du cerveau !
#8 Tout le système respiratoire est touché
En fonction de leur taille, les particules plastiques pénètrent plus ou moins profondément l’appareil respiratoire. S’il existe des “barrières naturelles” dont notre corps est pourvu, le système respiratoire ne peut se défaire de toutes les microparticules qui peuvent alors migrer plus loin dans l’organisme. Les microplastiques sont ainsi présents à tous les niveaux de l’appareil respiratoire. Notons également que les méthodes analytiques ne détectent pas, à ce jour, les nanoparticules de plastiques qui risquent donc d’être présentes en très grand nombre. Autre élément inquiétant : on observe, avec l’âge, une augmentation du nombre de microparticules de plastique dans les poumons, ce qui signifie qu’elles persistent dans l’organisme.
#9 Les microplastiques ont des effets néfastes sur les systèmes respiratoire et digestif
Comme l’ont prouvé différentes études cliniques sur l’exposition des professionnels travaillant dans l’industrie du plastique (notamment les travailleurs de l’industrie du flocage ou encore du textile et du PVC) dès les années 1970, les impacts sur le système respiratoire, dus à la toxicité de ces particules plastiques, sont nombreux : altérations de la fonction pulmonaire, essoufflement, inflammations, fibroses, pathologies respiratoires diverses, voire certains cancers des poumons.
Mais les plastiques peuvent également avoir un impact sur le système digestif, et notamment chez les populations à risques (enfants, personnes atteintes de pathologies diverses etc.) : outre leurs impacts sur la composition du microbiote intestinal, ces derniers sont en effet susceptibles de traverser la barrière intestinale et de pénétrer dans la circulation sanguine pour migrer vers des organes secondaires. Enfin, le transit de microplastiques pourrait être à l’origine de phénomènes abrasifs qui causeraient de potentielles inflammations.
#10 Les substances chimiques ajoutées lors de la fabrication du plastique suscitent également de réelles inquiétudes vis à vis de la santé humaine
Outre les problèmes liés aux plastiques, s’ajoute également ceux des substances chimiques associées et notamment, les additifs ajoutés pour donner certaines propriétés au plastique (couleur, protection vis à vis des UV, souplesse, etc.)
Ces substances chimiques ajoutées ne sont pas rattachées au plastique, elles peuvent donc migrer facilement lors des différentes étapes du cycle de vie du produit plastique.
Capture d’écran issue de la présentation de M. COUMOUL et M. BAROUKI,
chercheurs à l’INSERM, lors de l’audition du 17 octobre 2024
sur les impacts des plastiques sur la santé humaine
Des travaux de recherches, portant sur l’identification des substances chimiques et des polymères préoccupants, ont été menés et ont donné lieu à la mise en place de la base de données PlastChem. Celle-ci recense à ce jour plus de 16 000 substances chimiques intervenant lors des différentes étapes de fabrication du plastique, classifiées selon leur dangerosité selon 4 critères :
→ P – la persistance (substance ne se dégradant pas facilement dans l’environnement),
→ M – la mobilité (susbtance qui se répandent aisément dans l’environnement et/ou dans l’eau potable),
→ B – la bioaccumulation (en référence aux substances qui s’accumulent dans le corps humain plus rapidement qu’elles ne sont éliminées),
→ T – la toxicité (la nocivité sur la santé humaine ou autre).
Selon ces critères, et sur les 16 000 substances chimiques répertoriées en lien avec le plastique, seules 161 ne sont pas considérées comme “dangereuses”, notamment en raison du manque de données à leur sujet et plus de 3 600 sont classées comme “réellement préoccupantes” et devant faire l’objet d’une attention particulière.
Cependant, au niveau international, seulement 6% des substances chimiques font l’objet d’une réglementation dans le cadre des conventions internationales.
Parmi elles, certaines de ces substances sont bien connues et ont des impacts déjà prouvés sur la santé, notamment les PFAS, le bisphenol A, les PBDEs ou encore les phthalates, dangereux pour la santé notamment en tant que perturbateurs endocriniens ou par leur caractère mutagène, cancérogène…
Une urgence sanitaire et environnementale
Les études actuelles montrent clairement que le plastique a également envahit le corps humain, et si certains liens entre ces plastiques (et les substances chimiques qui y sont associées) et des pathologies graves sont déjà établis, il est aujourd’hui impératif de poursuivre les recherches mais également d’améliorer les méthodes de détection et de quantification des micro- et nano-plastiques pour affiner nos connaissances.
Au-delà des avancées scientifiques, la solution la plus efficace reste d’agir à la source : réduire la production de plastique pour limiter ses effets néfastes sur la santé humaine et l’environnement.
Les coûts sanitaires liés à ces substances chimiques sont exorbitants pour la société, rendant la mise en œuvre du traité mondial contre la pollution plastique indispensable et urgente. Il s’agit d’un enjeu vital pour les générations actuelles et futures : agir maintenant, avant qu’il ne soit trop tard.