Skip to main content

Joël de Rosnay, regards dans le retro sur le surf à Biarritz. Entretien

Joël de Rosnay fait partie de ceux qu’on appelle les Tontons surfeurs, ces sportifs qui se sont tous initiés aux surf après l’arrivée, à Biarritz, d’une planche de surf californienne. Devenu l’un des meilleurs surfeurs de sa génération,  il a répondu à nos questions, sur l’apparition du surf en Aquitaine, sur sa vision de la glisse, sur le surf et ses valeurs.

Vous êtes l’un des premiers à avoir surfé sur la côte basque, comment expliquez-vous l’implantation du surf à la fin des années 1950 dans cette région ?

Plusieurs facteurs ont contribué à l’implantation du surf au Pays Basque : la région qui présente des conditions idéales pour le surf, des locaux qui aimaient les vagues et l’arrivée d’une planche de surf.

Par un concours de circonstances, ces éléments se sont rassemblés à la Côte des Basques. Nous avons des vagues de rochers, des vagues de sable, des shore breaks. Avant les planches de surf il y avait les périssoires, les canoës. Ainsi les locaux, les Moraiz, Barland, Henebutte, étaient habitués à passer les grosses vagues, à passer dessous. Ils prenaient des vagues de deux mètres de haut avec des canoës canadiens, ils n’avaient pas peur de faire de grosses chutes et ils en ont fait beaucoup !

C’est l’apport d’un élément extérieur qui a été l’élément déclencheur. Un jour, une équipe de tournage américaine est venue avec une planche de surf parmi le matériel. On dit toujours que c’est Peter Viertel qui a apporté le surf ici, mais celui qui a l’idée en premier d’amener une planche de surf c’est Daryl Zanuck. C’est son fils qui en survolant la région a vu les vagues fabuleuses qu’il y avait ici et s’est dit alors qu’il était possible de surfer ici. Avec la planche que Daryl Zanuck Jr avait fait venir, Peter Viertel s’est mis à l’eau à la Côte des Basques.

Quel a été le rôle des locaux dans cette implantation ?

Ils ont tout de suite compris le surf, accroché à cette pratique. Un jour des amis qui habitaient à la Côte des Basque m’ont dit que quelqu’un se mettait debout sur sa planche. Arrivé à la Côte des Basques, je n’en croyais pas mes yeux, il était debout sur sa planche ! Il connaissait mon nom et m’a proposé de me prêter sa planche durant l’été pendant qu’il partait en tournage en Espagne. Barland est venu mesurer ma planche et tout de suite il a eu l’idée d’en fabriquer une. Le surf au Pays Basque était parti pour durer.


Nat Young (à g.), Joël de Rosnay, Peter Viertel (à d.), fin années 1980 Photo: © Daniel Velez

Est-ce que les locaux se sont regroupés autour de cette pratique du surf ?

Un ami péruvien, Carlos Dogny, est venu en 1957, il avait déjà créé un club au Pérou et il s’est dit qu’il fallait un club de surf pour pouvoir réunir tout le monde, créer cette communauté et partager cette passion du surf. J’ai tout de suite embrayé dessus, j’ai réuni les « Tontons surfeurs » chez moi afin d’en parler et de là est né le Waikiki surf club. Nous étions les premiers, puis petit à petit de nouveaux membres nous ont rejoints. Il s’agissait alors du premier club composé d’une quinzaine de personnes passionnées.

La communauté s’est créée comme voulue avec la création du club ?

Oui bien sûr, il y avait une vraie communauté, même au-delà de cela on peut parler de famille. J’estime pour ma part avoir une vraie famille dans le monde entier. Il y avait tout un état d’esprit à l’époque, quand on voyait quelqu’un avec une planche de surf on s’arrêtait pour lui demander où il était allé surfer, si c’était bien…

Est-ce qu’on parlait de valeurs communes dès cette époque ?

A l’époque il s’agissait surtout de trouver les bonnes vagues, profiter, partager cette passion avec d’autres surfeurs. Une culture s’est progressivement structurée, elle a commencé avec la culture importée de Californie, une culture spot, être le meilleur, le plus blond, plus une culture sportive. Et puis il y avait la culture du surfwear propres aux sports de glisse, tous les gens avaient le même look pour se reconnaitre, et c’est toujours important. C’est un besoin d’identification. Cela fait partie de la culture de se retrouver dans un surfshop, au café du coin pour parler de nos sessions.

Peut-on parler de transmission de valeurs, de codes entre les différentes générations?

La culture surf est une culture qui rapproche les générations, mais je dirais que chaque génération crée ses codes, avec des surfeurs qui se débrouillent eux-mêmes dans leur propre communauté.  Les filles font de plus en plus partie de cette nouvelle génération surf. En revanche il y a quelque chose qui a été transmis : c’est la culture du numérique, aujourd’hui le surf est tellement relié au numérique que l’on ne peut plus faire de surf sans les prévisions. Surf et numérique sont aujourd’hui très liés .

De plus, les nouvelles technologiques prennent une part importante dans la culture surf d’aujourd’hui. Il existe des dérives inspirées des balles de golf. En mettant des petits creux sur la balle, on s’est rendu compte qu’elle perçait l’air beaucoup mieux car elle crée une turbulence qui permet la percée. Cela a été appliqué au surf, ces nouvelles dérives perçant l’eau.

Qu’en est-il aujourd’hui du rapport à la vague de la nouvelle génération ?

Il existe toujours cette notion de partage notamment à la sortie de l’eau. Mais avant nous étions seulement une quinzaine de passionnés à l’eau, aujourd’hui le surf est devenu d’une telle popularité qu’on peut voir à certains endroits un certain individualisme dans le rapport à la vague.

Justement, partant du rapport à la vague, comment percevez-vous le surf aujourd’hui dans sa globalité ?

Aujourd’hui le surf est beaucoup plus qu’un sport, c’est un mode de vie. C’est vraiment une culture et un mode de vie au-delà de la simple pratique sportive. Elle n’est pas simplement la culture du surfwear, des spots, du surf safaris, des amis, c’est surtout une fusion avec la nature.

Une culture surf existe, elle a évolué, avec l’écosystème dans lequel on surfe et la protection de la nature. On ne peut pas surfer sans avoir envie de protéger la nature parce qu’à chaque vague prise on a envie de remercier la nature pour cela.


Joël de Rosnay surfant une gauche à la Barre (Anglet, France), en 1964. Photo: Arnaud de Rosnay.

Vous faites allusion à une conscience écologique,  est-elle récente ?

Les années 70’/80′ ont été des années de prise de conscience écologique. C’est aussi les années où l’homme est allé marcher sur la Lune, où on a vu la terre depuis la Lune et où on a pris conscience de la planète sur laquelle nous vivions et de la finitude de la Terre. La génération des années 80′ est née avec cette conscience écologique. De nombreux articles ont également permis cette prise de conscience.

Question qui divise, les waves garden. Certains disent que c’est prendre au surf son rapport à la nature, quel est votre point de vue ?

Créer des reefs parfaits c’est au contraire aller avec la nature. On peut avoir les deux : laisser des endroits sauvages et des plages arrangées avec des vagues parfaites. Ce n’est plus le même surf, c’est autre chose. Il y certes moins ce sentiment de communion avec la nature et de liberté, mais ne pas avoir une vague qui dépend de la marée et du vent cela est extraordinaire aussi.

Vous dites que le surf est plus qu’un sport, comment expliquez-vous ce passage du surf comme sport à un mode de vie à part entière ?

En effet,  le surf est plus qu’un sport, c’est plus que juste aller dans l’eau. C’est quelque chose qui peut apprendre l’écologie, l’écosystème, la nature autour. Et puis le surf est un entrainement à la vie parce que le surfeur n’est pas en équilibre sur la vague, il est en déséquilibre contrôlé, ce n’est pas pareil. Le surfeur est droit sur sa planche, en parallèle dans la vie on peut être droit tout en corrigeant les écarts à l’équilibre. Mais encore faut-il savoir les détecter, c’est pour cela que je dis que c’est beaucoup plus qu’un sport. Il faut avoir une intelligence, une perception de la vague, du milieu. Savoir prendre des risques car sans risque on n’innove pas. La philosophie du surf est très porteuse à la fois sur le plan pédagogique mais aussi sur le plan de la philosophie de la vie.